tag:blogger.com,1999:blog-70174735175118652172024-02-02T21:59:47.999+01:00écrire... pourquoi ? comment ?de mes nouvelles... GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.comBlogger18125tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-48152698004614164302013-11-22T13:12:00.000+01:002018-06-14T15:13:12.210+02:00Lila<div style="text-align: justify;">
– Lila. Une toute petite pousse, si frêle, mais on voit déjà que c’est une fille. On a décidé de l’appeler Lila.
</div>
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Je sors de l’échographie. Je n’y étais pas seule mais lui devait ensuite filer au bureau. Il m’a embrassée en me disant «de toute manière, c’est aussi bien, je vous laisse entre femmes». Je savais la trouver chez elle, je suis venue directement: je ne lui avais encore rien dit, c’était le moment, à présent. J’ai du mal à contrôler mon excitation: une fille. Lila. Ma fille. J’ai bientôt trente ans et je vais avoir une fille. Lila. </div>
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Elle tourne son regard mauve vers moi et – est-ce que j’espère enfin l’émouvoir? – j’ajoute: </div>
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– si par chance ta petite-fille a tes yeux, ce prénom lui ira à ravir! Et si elle ne les a pas, elle sentira ton regard sur elle à chaque fois qu’on la nommera… </div>
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Mais non. Inutile, une fois de plus. </div>
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Les mots claquent, après un bref silence. Pourquoi ai-je pensé que les choses pourraient changer? </div>
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– Un lilas, c’est un arbre. Et c’est un mot masculin. </div>
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– Lilah, c’est un prénom féminin, un très beau prénom, d’origine biblique. Si on est puriste, on met un h à la fin. </div>
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– Un h! Manquait plus que ça. Hache! Une hache – tu le fais exprès! Hache, c’est un mot féminin!<br />
Elle est au bord des larmes et de la crise de nerfs, je ne comprends rien, qu’est-ce que j’ai dit de mal? </div>
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– Une hache et un lilas. Il n’y a que toi pour avoir des idées pareilles. Que toi pour me faire ça. Toi et ton père. Et lui, en plus, il est parti… </div>
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Elle se lève et va s’activer dans la cuisine. Je sais qu’elle ne dira plus rien. Je l’embrasse à la sauvette et la quitte. Pas pour toujours, non, pas comme mon père – même si parfois je me demande ce qui peut encore me ramener à elle et à cette maison où je crois bien n’avoir jamais été heureuse. </div>
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<br /></div>
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Entre l’escalier qui monte à la porte du pavillon et l’endroit où est garée ma voiture, il y a dix pas, vingt tout au plus. Le jardin qui borde la maison est très petit; elle s’en occupe elle-même et il est bien tenu. Mes yeux tombent sur le massif de fleurs qui m’énervait tant quand j’étais enfant: il prend toute la place et justifiait à l’époque l’interdiction de jouer au ballon. Pour ma mère, le jardin servait à «prendre l’air», sans autre précision – en fait un équivalent de «débarrasser le plancher»… peu importait qu’un enfant ne puisse rien y faire. </div>
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Son aménagement n’a pas changé depuis les années soixante, il ne varie qu’avec les saisons. Un arbuste en pot trône au milieu du massif, sur la souche. La souche – à sa vue, un vertige me fait saisir la rampe. Doucement, je ploie, me pose sur une marche et m’appuie contre une autre, comme je l’ai fait si souvent, enfant. La souche. La faille. </div>
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L’arbre. </div>
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C’était un lilas. Un lilas mauve. </div>
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<br /></div>
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– C’est les racines, je vous dis, ça fait pas un pli. </div>
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L’homme avait l’air sûr de lui. Et mon père, pourtant si peu intimidable, semblait désarçonné. </div>
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– Ce n’est vraiment pas un gros arbre… </div>
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– Non, mais il est trop près. Un arbre, faut le mettre à trois mètres des habitations, et les canalisations, je vous dis pas… </div>
<div style="text-align: justify;">
– Je sais mais on l’a élagué, il n’a pas poussé haut, alors les racines… et puis, trois mètres, ici, on ne les a pas… </div>
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– L’élagage, c’est pas la question, les racines, ça va plus loin que la hauteur et ça va où ça veut. Ça œuvre en souterrain, ça forcit doucement, un jour ça soulève tout et ça fait des ravages, c’est comme ça. Quant aux trois mètres, oui, je vois bien. Mais la petite dame, elle voulait son lilas, c’est ça? </div>
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Il a levé la tête et souri à ma mère, qui suivait leur conversation de la fenêtre de la cuisine. Elle a esquissé un sourire de convenance et recommencé à fixer mon père, qui se taisait. </div>
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– Je sais bien comment c’est, je vous comprends! Mais si je vous fais le travail, je comble, je consolide le mur, mais sans retirer l’arbre, dans quelques mois vous me rappelez parce que ça aura craqué et que la faille revient… là c’est pas grave, pas grave du tout, mais ça va le devenir si elle s’élargit… </div>
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Mes parents continuaient à se taire, les yeux rivés sur l’arbre. L’homme a fait une pause puis, sans se laisser démonter: </div>
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– alors, moi, voilà ce que je propose: en même temps qu’on vous arrange le mur, on coupe l’arbre et on arrache la souche. Mes hommes vous feront ça pour pas grand-chose et ce sera réglé. Le massif de fleurs, bien sûr, faudra le refaire, et sans l’arbre au milieu… mais ce sera tout aussi joli. </div>
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Toujours souriant, il levait la tête vers ma mère, qui l’ignorait, les yeux dans le vague, en direction du lilas. Mon père contemplait la faille dans le mur. Celle-ci courait de l’angle de la maison vers la fenêtre de la cuisine, d’où ma mère nous surplombait. Je ne sais plus trop quel âge j’avais – six ans, huit ans? Mes yeux à moi allaient de l’un à l’autre, des carreaux de ma jupe vichy aux briques du mur, de ma mère à mon père, de la faille au lilas, du lilas au maçon. Le maçon qui disait qu’il fallait arracher le lilas. </div>
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J’étais enfant mais je me donnais le droit de penser. J’avais déjà entendu critiquer le lilas, par ma grand-mère paternelle, entre autres: elle disait qu’il assombrissait la cuisine. Je savais que ma mère supportait mal la critique sur ce sujet, pour l’avoir entendue défendre son arbre, avec une véhémence qui m’aurait presque rendue jalouse. Mais si les racines du lilas venaient à menacer la maison, je voyais mal ce qui pouvait la faire hésiter sur la conduite à tenir. </div>
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Quand j’y pense à présent, je me dis qu’elle était bien mince, cette faille, et sans doute pas si menaçante, quoi qu’ait pu en dire l’homme de l’art. Mais j’en ai fait, des cauchemars… je voyais la maison s’effondrer et ne comprenais pas l’obstination de ma mère. Mon père a fini par couper l’arbre, en laissant la souche, ma mère refusant de voir son massif retourné – pour ne pas dire profané. Je crois bien qu’il a passé une journée à tronçonner puis débiter l’arbre, journée lors de laquelle ma mère s’est alitée – je me souviens qu’en fin d’après-midi, il buvait des bières dans le jardin et n’était pas pressé de réintégrer la maison. </div>
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À la saison suivante, j’ai rapporté un bouquet de lilas du jardin d’une amie la veille de la fête des mères, toute fière de moi, et n’ai réussi qu’à m’attirer une remarque cinglante, selon laquelle je ne comprenais rien à rien. Ce jour-là, mon père, d’habitude si calme, s’énerva et prit ma défense en disant que je ne pouvais ni savoir ni comprendre ce qui s’était passé avant moi. Après que j’ai quitté la pièce, je l’entendis crier: «Ne me mets pas tout sur le dos! Toi non plus, tu n’étais pas prête!», puis dévaler quelques marches d’escalier pour les remonter. Une phrase à nouveau, dite très fort «Bon sang, ne fais pas comme si tu avais oublié, on n’avait que le terrain! Le pavillon était loin d’être fini, il n’y avait que les fondations, tout juste les quatre murs, on logeait dans une chambre sous les toits chez les parents, je faisais tout ce que je pouvais, c’était aussi ton choix, non?» Une porte a claqué, faisant trembler le sol de l’étage. Quelques minutes plus tard, mon père entrait dans ma chambre et tentait de m’expliquer que ce n’était pas ma faute si ma mère considérait son lilas comme irremplaçable. </div>
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Je n’étais pas la seule à subir ses colères: elle ne supportait pas que qui que ce soit fasse une remarque sur la clarté dans une pièce, ni qu’un jour on lui dise que la souche donnait à son massif de fleurs, qui ne faisait que croître et embellir, des allures de monument funéraire. Pire encore, les colères froides que suscitaient les voisins qui, croyant sans doute se rendre utiles, indiquaient des techniques visant à extraire ou faire pourrir la souche – c’est à peine si elle restait polie. Et moi, je ne savais pas qui je détestais le plus, ma mère et sa colère, ou ces gens qui réveillaient sa fureur… cette souche qu’elle protégeait jalousement ou tous ces étrangers qui se mêlaient de ce qui ne regardait que nous… </div>
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<br /></div>
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Aujourd’hui encore, je ne sais pas de quel côté j’étais ni ne suis certaine de ce que peut-être, je commence à entrevoir. La souche, il m’arrivait de m’y asseoir, recroquevillée, comme pour partager son secret – en cachette, quand aucun pot n’occupait l’espace et que ma mère était absente. </div>
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Quant au lilas d’avant la souche, je l’aimais en cachette, lui aussi. Je l’entourais de mes bras, le vent le faisait bruire et bouger contre moi, je me régalais de son odeur, sa texture, sa couleur. J’ai pleuré mes larmes à moi et les larmes de ma mère quand j’ai vu mon père le tronçonner. Chagrin et peur mêlés, jamais plus je n’ai pu regarder un arbre sans penser aux racines qui, sous nos pieds, creusent leur chemin. </div>
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<br /></div>
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C’était un lilas. Un lilas mauve. </div>
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Un tout petit arbre. </div>
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<i>Geneviève Alméras
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GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-5826507790952885542012-10-26T23:07:00.000+02:002013-07-31T23:27:23.953+02:00Litanies<div style="text-align: justify;">
S’il y a bien une chose dont elle se souvient au sujet de cette nuit-là et des suivantes - et des jours aussi, c’est d’avoir répété «reviens» autant de fois que les bébés peuvent avoir dit «encore» à leur mère une fois le mot entendu et compris. Elle se souvient qu’elle disait «reviens reviens reviens reviens…» un nombre de fois qu’à présent elle ne saurait plus indiquer – ça fait si longtemps –, mais elle se souvient que ça durait, ça durait. Qu’elle faisait durer. Que c’était hypnotique. Est-ce qu’elle le faisait pour ça? Pour s’hypnotiser? Et tenter de se faire croire à elle-même que…? Que quoi ? Tout le problème était là. Croire en quoi? Espérer en quoi? Il n’y avait rien à espérer. Mais c’est impossible, de cesser d’espérer. </div>
<div style="text-align: justify;">
C’était surtout le soir, au moment de s’endormir. Elle espérait – elle espérait si fort! – que le matin, elle se réveillerait et que tout serait comme avant. Ou qu’on lui aurait trouvé une solution, juste une solution pour rendre la vie vivable: avoir tout oublié, par exemple, et reprendre le cours d’une autre vie, peut-être une vie où elle ne serait pas elle, ou bien une vie dans laquelle elle n’aimerait personne, ou bien une vie dans laquelle personne n’aimerait personne, personne ne pleurerait personne. Ou encore une vie d’amnésie. Une vie qui ne fabrique pas de souvenirs. Une vie d’instants, mis à côté les uns des autres, qui ne se font pas souffrir. </div>
<div style="text-align: justify;">
Parfois c’était après une fâcherie, ou juste un regard. Elle partait au bout du jardin ou au fond d’un placard, peu importe, elle s’isolait. «C’est trop, c’est trop, trop, trop, trop, trop, trop…». Et ça finissait toujours par «reviens reviens reviens…». Un jour, peut-être? Ou alors oublier. C’était la seule alternative. «Fais que j’oublie!» A qui parlait-elle? Déjà à l’époque, elle n’en savait rien. Alors à présent… Et quand elle y pense… il faut être bien jeune pour rêver de perdre la mémoire: à l’âge qu’elle a maintenant, c’est un souhait qu’elle n’a plus besoin de formuler.<br />
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Quand elle y songe... Le plaisir n’était pas plus supportable que la contrariété. Le soleil sur la joue, sa caresse, ou le goût des premières fraises les yeux fermés et elle se surprenait à murmurer «maintenant, maintenant, maintenant, maintenant, maintenant, maintenant…» mais non, il ne se passait rien, rien de plus. Et la fraise semblait moins bonne, et un nuage cachait le soleil.<br />
Parfois c’était dans la rue. Quand il y avait un bout de trottoir assez long et puis une intersection en vue. Elle avançait, ralentissait le pas et pensait «là là là là là là là…» - en espérant qu’elle allait surgir. Et de fait, parfois, c’est tout juste si elle ne se cognait pas dans la personne qui arrivait de l’autre rue et si elle n’avait pas l’illusion, un instant, que…<br />
Mais non.<br />
Jamais. </div>
<div style="text-align: justify;">
Jamais ses litanies n’ont fonctionné.<br />
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Il avait fallu apprendre à vivre avec l’absence. Grandir, seule – au milieu des autres. Perdue. Maudire ses souvenirs. Avancer quand même. Avec. Sans.<br />
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Et puis commencer à perdre la mémoire, doucement… plus tard, bien plus tard, trop tard pour que ce soit d’une aide quelconque. Trouver là matière à se plaindre, encore. A se sentir plus perdue, encore. Tourner en rond les mains vides.<br />
Mais après tout quelle importance? C'est la fin du chemin et on sait tous où il mène: l'absence - l'absente aussi, peut-être? Qui sait...? L'esprit peine, le cœur fatigue, les yeux ses brouillent.<br />
Tant d'espoir, si longtemps, tant de chagrin, jamais tari... alors là, enfin?<br />
<br />
<i>Geneviève Alméras</i></div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-84479643950353292682012-08-26T23:15:00.000+02:002019-06-10T18:27:58.899+02:00La maille orpheline<div style="text-align: justify;">
Ça fait 43 ans un mois et cinq jours. Je me souviens de cette nuit-là. Je l’ai passée devant la télévision, en pensant à ma mère. Curieuse conjonction des nombres, le délai correspond grosso modo à l’âge qu’elle aurait eu si elle avait été là, mais elle était décédée depuis près de quatre ans. Moi, j’avais 18 ans depuis moins d’un mois et n’étais pas encore majeure – à l’époque, on ne l’était qu’à 21 ans. </div>
<div style="text-align: justify;">
«<i>Un petit pas pour l’homme, un bond de géant pour l’humanité</i>» a-t-il dit. Hier, 25 août 2012, le héros a rejoint les étoiles. </div>
<div style="text-align: justify;">
J’ai attendu en tricotant, jusqu’à quatre heures du matin. J’avais préparé suffisamment de laine pour me faire un petit pull à manches courtes – c’est ma mère qui m’a appris à tricoter, je continuais, en mémoire d’elle. Quatre ans, je me disais, quatre ans seulement et le monde a tellement changé, comment est-ce possible? Nos grands-parents nous disaient: <i>la lune, si ça continue comme ça, vos enfants iront y passer les vacances</i>… </div>
<div style="text-align: justify;">
Le pull était bleu électrique, avec une rayure jaune en bas, qui a été vite terminée. Le bleu montait vite, le modèle était uni, en jersey: pas besoin de regarder, c'était parfait pour surveiller la télévision. Et puis j’avais mon idée, et un reste de laine jaune pour le moment décisif. Je l'ai saisi à l’instant précis où Neil Armstrong a posé le pied sur la lune et j'ai tricoté une maille lunaire au milieu du bleu: ma manière à moi de capturer ce petit bout d’histoire de l’humanité. </div>
<div style="text-align: justify;">
La maille jaune s’est trouvée être sur le devant, en haut, au niveau de l’épaule gauche, on la voyait à peine et je crois bien que personne ne l’a jamais remarquée. C’est vrai que ça valait peut-être mieux: en y repensant, toute seule au milieu du bleu, elle avait l’air un peu ridicule, ma petite maille orpheline… </div>
<div style="text-align: justify;">
Un grand pas pour l’homme, une petite maille sur mon pull.<br />
<br />
<i>Geneviève Alméras </i><br />
<i><br /></i>
<a href="http://www.lemonde.fr/sciences/article/2012/08/25/neil-armstrong-premier-homme-a-avoir-marche-sur-la-lune-est-mort_1751464_1650684.html" target="_blank">Hommage - tout à fait personnel</a></div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-74780825439064835182011-11-30T22:16:00.000+01:002013-08-09T09:52:37.531+02:00Madame Lutin<table cellpadding="0" cellspacing="0" class="tr-caption-container" style="float: left; margin-right: 1em; text-align: left;"><tbody>
<tr><td style="text-align: center;"><a href="http://storage.canalblog.com/92/33/577135/68054597.jpg" imageanchor="1" style="clear: left; margin-bottom: 1em; margin-left: auto; margin-right: auto;"><img border="0" height="200" src="http://storage.canalblog.com/92/33/577135/68054597.jpg" width="141" /></a></td></tr>
<tr><td class="tr-caption" style="text-align: center;">n°11 - novembre 2011</td></tr>
</tbody></table>
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<br /></div>
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Il y a un an, la <i><a href="http://larevued100voix.canalblog.com/" target="_blank">Revue des 100 voix</a></i> publiait son n°11 le onzième mois de 2011.... avec: </div>
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<i><a href="http://storage.canalblog.com/54/87/909842/69477383.htm" target="_blank">Ca existe, ces choses-là...</a></i></div>
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<br /></div>
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On peut aussi lire <a href="http://storage.canalblog.com/33/95/577135/68054809.jpg" target="_blank">la version illustrée</a> (moins lisible à l'écran mais plus caractéristique de la revue, qui mêle écriture et graphisme). </div>
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<br /></div>
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Quant à l'ensemble des textes de cette sympathique revue, on les trouve <a href="http://quidautrequevous.canalblog.com/" target="_blank">ici</a> ou <a href="http://larevued100voix.canalblog.com/" target="_blank">ici</a>. </div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-15379457612402052032010-05-01T16:01:00.001+02:002013-07-31T23:51:11.240+02:00Tout là-bas là-bas<div style="text-align: justify;">
D’une certaine manière, elles ne se connaissent pas mais elles n’en forment pas moins un groupe; elles s’écrivent, tout au moins s’envoient des messages, parfois se téléphonent, en tout cas se soutiennent. Elles n’ont en commun que cette chose-là, qui les réunit, mais à ce moment-là, cette chose-là c’est toute leur vie et ça, seule l’une d’entre elles peut le comprendre. Et peu leur importe que pour le reste, qu’en dehors de ce «ça» qui les définit, elles ne se ressemblent pas forcément.<br />
<br />
<a name='more'></a></div>
<div style="text-align: justify;">
(...)<br />
<br />
Ce texte est en ligne sur le <a href="http://textecriturescolombines.blogspot.fr/2009/10/tout-la-bas-la-bas.html" target="_blank">blog-textes d'Ecritures Colombines</a>. </div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-17182946777611593102010-04-30T23:34:00.000+02:002013-08-31T16:14:43.569+02:00Dans cette ville qui ne peut pas sombrer, tout est à recommencer*<div style="text-align: justify;">
Elle n'est pas leur mère et ce n'est pas la guerre. Les enfants ne dorment pas dans une roulotte mais sous une tente. Pour sauver leur vie, ce n’est pas les routes de l’Europe du XVIIème siècle qu’elle arpente mais les chemins défoncés et encombrés qui mènent à ce qui reste de la capitale de son pays dévasté. Les décombres qui l’entourent ne doivent rien à la folie des hommes qui, pour une fois, ne sont pas les coupables – pour autant elle n’a pas cessé de remercier Dieu tous les jours. Et de lui demander de lui donner la force de ne pas sombrer, le courage de continuer à vivre, pour elle et pour les autres.
Le nom de Berthold Brecht ne lui dirait peut-être rien si on le lui soufflait, ni celui d’Anna Fierling et il est vrai qu’à presque quatre siècles et huit mille kilomètres d’intervalle, leurs histoires sont différentes. Il n’empêche: journée de la femme ou pas, Mère Courage, c’est un nom qui lui va bien.
Elle vit en Haïti et elle est directrice de crèche – le nom que dans ce pays on donne aux orphelinats, ou plutôt aux maisons de la dernière chance où des parents qui ne sont pas morts mais démunis de tout peuvent amener leurs enfants, et les laisser. </div>
<div style="text-align: justify;">
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<a name='more'></a>Le texte dans son entier sur le site d'<a href="http://textecriturescolombines.blogspot.fr/2010/03/dans-cette-ville-qui-ne-peut-pas.html" target="_blank">Ecritures Colombines</a> </div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-49964901255791889462010-01-31T20:18:00.000+01:002013-09-08T20:25:06.889+02:00Répliques<div style="text-align: justify;">
Mardi a été une journée difficile – tout au moins est-ce ce que j’ai pensé toute la journée: je n’en peux plus, j’ai trop de travail, je suis claquée, tout cela me fatigue, il faut que ça s’arrête. </div>
<div style="text-align: justify;">
Le soir, je suis rentrée tard et à pied – le bus n’arrivait pas. J’étais fourbue. On a dîné d’une soupe préparée la veille et j’ai décidé de me coucher tôt. J’ai laissé en plan deux enveloppes de factures et à peine regardé mon courrier électronique, mes yeux se fermaient. Un clic cependant m’a arraché un sourire: un lien vers une chronique de Lyonel Trouillot qui, d’Haïti, commence par cette phrase: «<i>en quoi cela peut-il intéresser les Français?</i>» </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
Avec une telle introduction, comment ne pas lire la suite? La chronique, publiée sur le site de <i>Libération</i>, s’étale sur une semaine. Le premier post date du 2 janvier, un samedi. On est le 12, il a dix jours. Dans deux jours, le 14, s’ouvrira le festival du livre, avec une quarantaine d’écrivains. Lyonel Trouillot a seulement pris un peu d’avance, avec Dany Laferrière. D’autres arriveront sous peu. </div>
<div style="text-align: justify;">
Je continue à lire et j’apprends qu’en Haïti, le deuxième jour de l’année est le jour des aïeux. Chez moi, c’est l’anniversaire de ma fille. Je trouve joli de penser que sous d’autres cieux, cette fête coïncide avec la célébration de nos ascendants. </div>
<div style="text-align: justify;">
Le 3, Trouillot parle de Préval, le président qui a succédé à Aristide, le prêtre, lui-même successeur de Duvalier, le dictateur; le 4, il évoque un frère en écriture et un livre; le jour suivant, quelques mots sur l’organisation du festival et une question sur le sentiment d’insécurité qui règne sur Port-au-Prince: «<i>Le jour n’est peut-être pas loin où, pour aller acheter son pain, on jugera nécessaire de porter une armure. Port-au-Prince n’est pas plus marqué par l’insécurité que d’autres grandes villes.</i>» Et puis ce sont les inégalités sociales, le lancement du festival, l’université, qui est fermée… Sa chronique se termine le vendredi suivant: «<i>Le jour se lève à peine. Je relis ma semaine d’écrivain haïtien. Ecrivain, qu’est-ce que j’en sais? Haïtien, certainement. J’ai envoyé ce projet de texte à quelqu’un qui vit en France et que j’aime beaucoup. La réponse: pas sûr que cela intéresse le lecteur français dans le froid de janvier. Qu’est-ce que j’y peux?</i>» </div>
<div style="text-align: justify;">
Je ne sais pas pourquoi l’idée que moi, ça m’a intéressée et que je ne suis pas la seule puisque la chronique a été publiée, cette idée me fait sourire. Un petit plaisir avant d’aller se coucher… </div>
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<br /></div>
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Le mercredi, mon réveil sonne à six heures et la radio s’enclenche, ce qui est supposé m’aider à m’éveiller mais ne fonctionne pas toujours : il arrive que la voix du journaliste me berce et que je me rendorme. </div>
<div style="text-align: justify;">
Ce matin-là, ce n’est pas le cas, bien que mon cerveau soit aussi embrumé que d’habitude, voire plus. La voix se fraye un chemin jusqu’à mes neurones sans la moindre douceur: <i>un terrible séisme s’est produit cette nuit à Haïti; de nombreux bâtiments se sont effondrés, il y a des centaines de morts et sans doute des milliers de blessés, dont certains sous les décombres</i>. </div>
<div style="text-align: justify;">
Je sursaute et m’assieds sur mon lit; ce n’est pas à Lyonel Trouillot et à son festival qui n’aura pas lieu que je pense. Je pense à tous les enfants des orphelinats d’Haïti, les enfants des crèches, comme on dit là-bas; je pense à leurs parents haïtiens et aux parents français de certains d’entre eux, ceux qu’on a déjà apparentés et qui les attendent depuis des mois; je pense aux parents qui sont sur place en ce moment car enfin ils sont partis chercher leur enfant; je pense à ceux qui sont sur le point de partir, à ceux qui viennent à peine de recevoir une photo, à ceux qui étaient sur le point d’envoyer leur dossier. </div>
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<i>On ne sait rien, dit le journaliste, les communications sont interrompues</i>. </div>
<div style="text-align: justify;">
Je branche mon ordinateur et passe sous la douche. Internet est un miracle permanent – sans courant, sans liaison téléphonique, ça peut fonctionner? Je ne cherche pas à comprendre. Sur les listes de discussions des parents adoptifs, un message a été posté à minuit et quatre minutes, transmettant la dépêche de l’AFP. </div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Un puissant tremblement de terre de magnitude 7 a frappé mardi l'ouest d'Haïti dans la région de la capitale Port-au-Prince et une alerte au tsunami a été émise (…) la secousse a duré plus d'une minute, allant jusqu'à faire sauter les véhicules en pleine rue. De nombreuses personnes se sont retrouvées dans les rues après la secousse (…). </i></div>
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<i>L'épicentre du séisme, qui s'est produit à 16h53, se trouvait à 22 km à l'ouest de Port-au-Prince, selon l'USGS, qui avait dans un premier temps fait état d'une secousse de 7,3. Une réplique de magnitude 5,9 a été enregistrée près d'une heure plus tard. </i></div>
<div style="text-align: justify;">
<i>Pour mesurer la puissance d'un séisme, l'USGS utilise la «magnitude de moment» (Mw). Sur cette échelle ouverte, un séisme atteignant une magnitude d'au moins 6 est considéré comme fort. (…) </i></div>
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<i>A Pétionville, banlieue proche de la capitale, un hôpital s’est effondré (…)</i>. </div>
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Les messages des cinq minutes suivantes portent sur des sujets différents, ils poursuivent les conversations précédentes et ont sans doute été postés en même temps que celui qui annonce le séisme. Et puis ça y est, tout le monde a lu, les messages du reste de la nuit ne parlent plus que de cela: et les enfants? </div>
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Peu avant une heure du matin, un père dit avoir tenté d’appeler l’ambassade, mais rien, pas de réponse – et en France, un répondeur, évidemment. A 8h36, un message arrive, d’une des crèches, en anglais. Je traduis rapidement, dit la messagère: tout est ok, ils sont vivants! </div>
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Ma fille est dans une autre crèche, enchaine une adoptante, je n’arrive pas à avoir des nouvelles, quelqu’un en a-t-il? </div>
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Laquelle, lui demande-t-on? Précise. As-tu posté sur telle ou telle autre liste? Je crois que quelqu’un a donné des nouvelles… Je suis de tout cœur avec toi. </div>
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<br /></div>
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Je ferme, je dois y aller – mais je sais que toute la journée, ce sont ces messages-là qui vont s’échanger, que ceux et celles qui le peuvent passeront leur journée sur internet et au téléphone, que déjà certaines réfléchissent à la manière d’agir – mais que faire? – que des images vont passer en boucle sur les télévisions et les écrans d’ordinateur du monde entier, que les larmes que les Haïtiens ne verseront pas se répandront sur les claviers. </div>
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A midi, j’accède à un appareil, je clique. Difficile de faire le point, il y a tellement de messages. Les crèches qui ont subi peu de dégâts se sont signalées, ce qui provoque des oufs de soulagement. Dans l’une on parle de bébés blessés – ceux qui sont sains et saufs ne le doivent qu’à leurs jambes, seul le ciel ne leur est pas tombé sur la tête. L’adresse d’une cellule de crise circule, on peut envoyer ses coordonnées au ministère et indiquer celles de son enfant – on sera tenu au courant. </div>
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Un hôtel de luxe s’est effondré, le palais présidentiel aussi, Préval n’a plus de toit: les phénomènes naturels ont ce mérite, ils ne pratiquent pas la discrimination. </div>
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L’après-midi apporte son lot de nouvelles supplémentaires, que je lis dans la soirée – je suis aussi fatiguée que la veille, mais quel sens cela aurait-il de prétendre avoir eu une journée difficile dans ce pays? </div>
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Encore une fois, nous dinons tard, et vite. Ma fille me voit soucieuse, je lui parle de ce qui se vit là-bas et elle compatit – elle connaît des enfants qui viennent d’Haïti et sait qu’il s’agit d’un pays pauvre. Comme d’habitude, elle me raconte sa journée puis s’enferme dans sa chambre avec le téléphone. Et moi, je retourne à mon ordinateur. </div>
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<br /></div>
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Pétionville a été relativement épargné, contrairement à ce que la première dépêche laissait supposer – un soulagement pour certains. D’autres ont la carte d’Haïti sous les yeux, ils fournissent des précisions géographiques. Les deux mères parties chercher leur enfant sont vivantes, elles ont envoyé un message, l’une d’elles est à l’abri à l’ambassade. Leurs prénoms sont indiqués, je ne les connais pas. Une adoptante a ouvert un blog, elle recense toute l’information disponible, son adresse url circule dans les messages. Je vais jeter un coup d’œil et me demande où je suis quand je tombe sur un paragraphe dans lequel elle exprime son mécontentement: ses articles seraient repris et copiés sans qu’on la cite, elle menace de fermer son blog – je me dis que la journée a été dure pour tout le monde… </div>
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Sur google actualités aussi, c’est le déferlement. J’apprends que le dernier séisme s’est produit il y a plus de 150 ans. Que celui-ci était prévu, même si on n’en connaissait pas la date précise, aux dires de certains scientifiques, qu’il était inévitable – inéluctable, est-il écrit. Comme le sont les répliques qui ne vont pas manquer de survenir… </div>
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Répliques ou non, combien de temps les survivants peuvent-ils espérer survivre encore? Car il ne s’agira pas seulement de dormir à la belle étoile dans un champ de ruines, il va à présent s’agir d’échapper à la dysenterie et aux épidémies dans un pays où toutes les canalisations ont été démolies, où les cadavres vont rapidement s’entasser, où plus rien de ce qui fonctionnait auparavant si mal ne fonctionne plus du tout à présent… Qui aujourd’hui peut prétendre être à l’abri au-delà du temps nécessaire pour prononcer la phrase? </div>
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<br /></div>
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Un jour suit l’autre et c’est la même chose. Les kiosques sont envahis d’images apocalyptiques et les radios donnent la parole à leurs envoyés spéciaux, arrivés à destination. </div>
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L’aide se met en place. Les Etats et les ONG envoient des troupes. Les appels aux dons démarrent, relayés par les radios et les listes de discussion, qui fournissent les adresses de petites associations en train de se monter pour la circonstance. </div>
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Puis viennent les reportages et les parents adoptifs en sont – ils y tiennent, ils ont fait ce qu’il fallait pour; certains ont ce fol espoir d’une accélération des procédures qui mettrait les enfants à l’abri et un terme à leur attente, ils parlent de mettre une pétition en ligne. D’autres s’inquiètent du contraire: tout va être arrêté pendant des mois, toutes les démarches vont se heurter à un mur, plus rien ne va fonctionner. Je n’ai pas le temps de regarder mais je lis les commentaires de ceux qui ont vu, de ceux qui connaissent la personne ou qui connaissent quelqu’un qui connaît… </div>
<div style="text-align: justify;">
La presse écrite aussi fourmille de récits, les média se sont emparés du sujet de l’adoption. Un père était dans l’avion qui allait atterrir au moment même du séisme et n’a pu le faire: il allait chercher son fils, se préparait à la rencontre imminente et puis – rien, l’avion a été dérouté, il est à Pointe-à-Pitre. Un couple était, lui, sur le point de repartir avec l’enfant, ils sortaient de l’hôtel quand tout s’est effondré autour d’eux. Quelle histoire cet enfant se racontera-t-il plus tard (si «plus tard» existe un jour): j’ai mis le pied sur la route qui menait à l’avion et mon pays a volé en éclats… </div>
<div style="text-align: justify;">
Un message raconte qu’à la télévision, un couple a été interviewé; il a été question des démarches et de l’attente, que l’avant-veille encore les futurs parents auraient qualifiée d’insupportable: aujourd’hui ils n’ont plus de mots. </div>
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<br /></div>
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Ce soir, je rentre à nouveau un peu tard. Ma fille m’ouvre la porte en disant «maman, c’est affreux, j’ai regardé les informations, je n’avais pas compris quand tu m’en as parlé hier; ce soir j’ai vu un reportage à la télé, sur Haïti, jamais je n’aurais pu imaginer ça…» Comme je me tais – que dire?, elle ajoute «je suis certaine que tu y as pensé toute la journée.» </div>
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Elle me laisse le temps d’allumer mon ordinateur et de revenir à la cuisine, où j’ai posé un paquet. L’instant d’après, elle est là à nouveau et dit «heureusement, moi je suis ici, je suis bien contente.» </div>
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Je suis en train de disposer dans un récipient les nems que j’ai pris au restaurant chinois en passant, parce que je n’ai pas le temps de faire à dîner et que je sais qu’elle aime bien ça. Je lève les yeux vers elle. Elle a pris sa douche et s’est mise en pyjama. Je me demande si elle a terminé ses devoirs, mais avant, </div>
<div style="text-align: justify;">
«Chérie, toi tu ne viens pas d’Haïti…» </div>
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«Ca fait rien», elle dit, «c’est mieux quand même et je suis bien contente.» </div>
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<i>Geneviève Alméras</i><br />
<br />
Voir l'article <i><a href="http://blog.pourquoijecris.fr/2010/01/les-mots-au-secours-du-reel.html">Les mots au secours du réel</a></i> </div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-32289385107154491722008-11-16T20:20:00.000+01:002014-01-24T17:22:16.762+01:00La dérive des continents<div style="text-align: justify;">
– Il va falloir que j’apprenne à faire les petites tresses, tu sais, ce n’est pas si facile! </div>
<div style="text-align: justify;">
La maman qui parle a le teint clair, des taches de rousseur et un grand sourire. Elle s’adresse à sa blondinette de nièce, qui, comme les mercredis précédents, revendique de tenir elle-même la poussette du bébé, mais de toute la force de ses petits bras, la guide de travers. </div>
<div style="text-align: justify;">
<br /></div>
<div style="text-align: justify;">
</div>
<a name='more'></a><div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhacy8DPT_9K6J1OjU9tdW9PGclNOOTfY21wetU_jFohuINC_UpIHyHcRpE9fSZeNz4oqxvvMEJTRzYWhMsG6x9BUyJ1Eo-7T9i94YSqSeQ0RBCDJowuWkCiLYMbpZp5RkGQO622zEXGsvm/s640/MM6.jpg" imageanchor="1" style="clear: right; float: right; margin-bottom: 1em; margin-left: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEhacy8DPT_9K6J1OjU9tdW9PGclNOOTfY21wetU_jFohuINC_UpIHyHcRpE9fSZeNz4oqxvvMEJTRzYWhMsG6x9BUyJ1Eo-7T9i94YSqSeQ0RBCDJowuWkCiLYMbpZp5RkGQO622zEXGsvm/s640/MM6.jpg" height="146" width="200" /></a></div>
<i>MAJ 01.14</i>. Publié dans<a href="http://pourquoijecris-blog.blogspot.fr/2014/01/nous-les-femmes.html"> moshi moshi n°6, janvier 2014</a>, la revue de <a href="mailto:nellybridenne@yahoo.fr" target="_blank">Nelly Bridenne </a>GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-4771477487970046652008-09-04T01:19:00.000+02:002013-07-31T23:51:43.312+02:00Les cinq à six de la marquise<div align="justify">
La marquise sortit à cinq heures.<br />
Comme d’habitude.<br />
Cet horaire laisse aux écoliers trente minutes pour rentrer chez eux et c’est parfait. Le circuit est toujours le même : la rue piétonne, le square, l’avenue, puis le rond-point. Au carrefour, la marquise fait signe, d’un léger tressautement, qu’elle veut traverser. On la suit. Et c’est là, au centre du rond-point, que la marquise se soulage enfin, indifférente au flux des voitures. Il faut dire que l’horaire est bien choisi: la circulation n’est pas trop dense, ce n’est pas encore l’heure de fermeture des bureaux. Du coup les voitures roulent à une vitesse raisonnable et personne ne s’attarde à observer la silhouette qui, penchée vers le sol, saisit d’une main gantée de plastique noir une petite chose tiède et molle, retient un léger haut-le-cœur puis, d’un tour de poignet, retourne le sac sur son contenu, en même temps qu’elle se résigne, ce jour encore, à trimballer son colis sur les cent mètres suivants, dans l’attente de la première poubelle. </div>
<div align="justify">
Ce jour-là comme d’habitude, la marquise sortit à cinq heures, fit ce qu’elle avait à faire, et ramena sa maîtresse à la maison à six heures.<br />
<br />
<i>Geneviève Alméras</i> </div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-87445595322931241242008-07-03T00:12:00.000+02:002014-07-04T13:16:03.009+02:00Distorsion de l'espace-temps<div align="justify">
<div class="MsoNormal">
<i><span style="font-family: Times, Times New Roman, serif;"><span style="font-size: large;">Substance blanche, matière grise, humour noir – cherchez l’intrus.</span> </span></i><br />
<br />
Sa main hésitait sur le combiné téléphonique et ce n’était pas à cause des fourmillements. Allait-elle ou non se décommander? Le diner promettait d’être parfaitement ennuyeux et elle n’était pas d’humeur à jouer les clowns de service. Pas plus qu’à prendre l’air compassé et à entendre discuter astrophysique ou autonomie de l’université. Sans compter qu’Etienne allait immanquablement lui demander ce qu’avait montré l’IRM fait dans l’après-midi dès qu’elle surgirait dans son champ de vision. Et lui dans le sien, puisqu’il n’avait pas encore rétréci suffisamment pour l’empêcher d’y tenir. Lui faire le coup du trou noir n’arrangerait rien, elle n’avait pas du tout – mais alors vraiment pas du tout! – réussi à le faire rire le jour où elle lui avait dit que depuis quelque temps, elle savait fermer les yeux sans baisser les paupières. Sans compter qu’elle s’était vantée, avait-elle ajouté – oh l’air horrifié qu’il avait eu en l’entendant utiliser ce terme! –, car elle ne le faisait malheureusement pas sur commande. Mais elle allait s’entraîner, promis: si elle avait bien compris ce qu’avaient dit les médecins, elle en aurait l’occasion de plus en plus souvent… «Pour les yeux, on ne peut rien faire, ralentir le processus, tout au plus.» Tant mieux. Elle avait mis un point d’honneur à dire «tant mieux» là où ils attendaient tant pis. Bien sûr qu’elle savait qu’ils ne l’en plaindraient pas moins, que son système de défense était dérisoire. Mais il lui avait échappé, ce «tant mieux» imbécile. Et après tout, oui, tant mieux: trop de choses à voir en ce bas monde, totalement dénuées d’intérêt. Et ce qui vaut le coup, on n’a de toute manière pas assez d’une vie pour le voir.<br />
Les jambes en béton aussi, ils avaient dit que ça se reproduirait. Ou la main molle, au choix. Ou les deux, avec un peu de chance. Quand, à quelle échéance, ça, personne ne le savait. Chaque cas est différent, avait dit l’un sentencieusement. Pas de boule de cristal à l’hôpital, avait ajouté l’autre, voulant sans doute alléger l’atmosphère ou se mettre au diapason de son humour tordu… Dans les deux cas, la conclusion avait été: «A surveiller régulièrement», elle n’avait rien obtenu d’autre. Un diagnostic, certes, mais quant au pronostic… incertain. Avec ça elle était bien avancée.<br />
<br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><i>Diagnostic, pronostic, hystérique – cherchez l’intrus. </i></span><br />
<br />
Et en attendant elle avait toujours la main sur le téléphone, qu’elle décrochait et raccrochait… Au fond, le plus simple serait peut-être de ne pas appeler. Elle passerait pour grossière, certes, mais quelle importance? Non, impossible, Etienne s’inquiéterait, il était capable de quitter ses invités, de débouler chez elle, de faire le 18 ou de bloquer le standard de l’hôpital, pensant qu’on l’y avait gardée. Risible quand on y songe, dégât collatéral absurde: alors même que le fonctionnement de son organisme allait l’obliger à accepter d’introduire dans sa vie une dose croissante d’improvisation, poser des lapins ne lui serait bientôt plus permis. Elle allait devenir quelqu’un dont on se préoccupe, elle qui ne s’était jamais occupée de qui que ce soit et réclamait haut et fort la réciprocité. Risible, oui, et injuste, mais c’était comme ça: être absente à elle-même ne lui donnerait aucun droit à l’être aux autres.<br />
<br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><i>Rémittente, intermittente, ma vie au clou chez ma tante – cherchez l’intrus… </i></span><br />
<br />
Pourtant la journée avait été une bonne journée, au sens qu’elle donnait à cette expression depuis quelque temps: ce soir encore, tout fonctionnait, elle pouvait faire bouger tous ses membres, tous répondaient, orteils compris. Il faisait beau, la soirée était parfaite pour une balade à pieds comme elle les aimait, un tour en ville entre chien et loup, suivi d’un verre dans ce bar dont elle appréciait tant les fauteuils profonds et les bouquins à portée de main. Mais que se passerait-il, demain, si elle était vue en ville ce soir, alors qu’elle était supposée diner chez le Doyen? C’était un risque à prendre, elle aviserait. D’ailleurs, il suffirait de nier. On aurait vu sa sœur, son sosie, son fantôme ou, si c’était elle, eh bien il faudrait croire que c’était dans une autre dimension, dans un univers parallèle, dans l’infini du champ des possibles… à chacun ses visions.<br />
<br />
Quant à elle, puisque son espace devait rétrécir, il lui fallait décider que son temps n’en devenait que plus précieux. Et donc sa décision était prise : elle n’irait pas. Elle allait mettre un message d’excuse et se rendre injoignable: distorsion de l’espace-temps – rien d’affolant après tout, ils étaient tous des habitués des trous noirs… Et plus prosaïquement: pas question d’aller jouer les femmes-tronc dans un dîner en ville, elle aurait vraiment tout loisir de faire ça quand elle serait en fauteuil roulant.<br />
<br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif; font-size: large;"><i>Tête à claques, sclérose en plaques, sauter dans les flaques – cherchez l’intrus. </i></span><br />
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif;"><i><br /></i></span>
<span style="font-family: Times, Times New Roman, serif;"><i><br /></i></span>
------------------</div>
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="http://short-edition.com/bundles/shortsite/images/icon-palmares.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"></a></div>
Pour info,<br />
<div class="separator" style="clear: both; text-align: center;">
<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjgM9YTSgqEEHLWI2W06383-7Tjk_GeUXRyuP2LT-1YP8mBRsdHC-Dx1_xVDUgska1OQ6WILj53RIJr7GSQbQH9uGY0iq0tNV98Yq710OJ0Eok_BxAK4StpG01ydsOmFzjDjVzLYmRFhQ8/s1600/short.png" imageanchor="1" style="clear: left; float: left; margin-bottom: 1em; margin-right: 1em;"><img border="0" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjgM9YTSgqEEHLWI2W06383-7Tjk_GeUXRyuP2LT-1YP8mBRsdHC-Dx1_xVDUgska1OQ6WILj53RIJr7GSQbQH9uGY0iq0tNV98Yq710OJ0Eok_BxAK4StpG01ydsOmFzjDjVzLYmRFhQ8/s1600/short.png" /></a></div>
<a href="http://short-edition.com/oeuvre/tres-tres-court/distorsion-de-l-espace-temps" style="font-size: 11pt;" target="_blank">ce texte est également publié sur le site Short.</a><span style="font-size: 11pt;"> </span><br />
<span style="font-size: 11.0pt;">Allez-y d'un <a href="http://short-edition.com/oeuvre/tres-tres-court/distorsion-de-l-espace-temps" target="_blank">clic</a>, c'est <a href="http://short-edition.com/oeuvre/tres-tres-court/distorsion-de-l-espace-temps" target="_blank">ICI</a>! </span><br />
<span style="font-size: 11.0pt;">Et profitez-en pour lire d'autres textes courts, <a href="http://short-edition.com/" target="_blank">ce site</a> est une mine. </span></div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-5054966949098985932008-06-30T23:01:00.000+02:002013-09-01T16:06:40.349+02:00Troncatures<a href="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjb1ANSUpNs1lfnMmYGIpOajd8-qkLFrj8zOTlemPlxBH5v-HI8-dvR4TIh4PXXRg_hUOhz12NP5oHXLaqPaiS-grkX6fPsaBh5LvgL1tBvJOmAJvxDbk6iBMK9Xh3IUl02hEuluJEUSp0/s1600-h/mamounewarhol.jpg"><img alt="" border="0" id="BLOGGER_PHOTO_ID_5039100836151449234" src="https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEjb1ANSUpNs1lfnMmYGIpOajd8-qkLFrj8zOTlemPlxBH5v-HI8-dvR4TIh4PXXRg_hUOhz12NP5oHXLaqPaiS-grkX6fPsaBh5LvgL1tBvJOmAJvxDbk6iBMK9Xh3IUl02hEuluJEUSp0/s200/mamounewarhol.jpg" style="cursor: hand; float: left; margin: 0px 10px 0px 0px;" /></a><br />
<div align="justify">
Il y a du monde au musée Andy Warhol. C’est la première fois que Lila voit des gens dans cette salle. Elle observe que des boites ont changé de place, qu’une pile de cartons blancs se dresse à présent dans l’angle gauche de la pièce et que plusieurs personnes se pressent dans cet espace réaménagé. Elle se demande s’il y a un lien de cause à effet entre les variations du décor et l’apparition de visiteurs. Apparemment oui, ils sont venus voir des boites blanches… pour l’art ou pour la géométrie? Pas même une inscription, tout au moins pas qui soit visible. Un homme immobile lui donne l’impression d’afficher sa perplexité, une minute passe et les autres ont disparu. Une femme s’encadre dans la porte, elle a un pull-over rouge et les bras croisés. Elle regarde de côté, comme si elle hésitait à entrer, puis elle est hors cadre. Une jeune surgit, boulotte et en jeans, et Lila lui trouve l’air décidé. Dans cette salle aveugle, la lumière électrique est vive et crue. Lila se demande quelle heure il est à Pittsburgh.<br />
<br />
<a name='more'></a>(...)<br />
<br />
<br />
<i><b><u>MAJ</u></b></i><br />
Cette nouvelle a été publiée dans le <a href="http://ruesaintambroise.weebly.com/" target="_blank">n°26 de la revue <i>Rue Saint-Ambroise</i></a> en novembre 2010.<br />
On peut la lire en ligne sur <a href="http://ruesaintambroise.weebly.com/ndeg26.html" target="_blank">le site de la revue</a> ou directement sur <a href="http://fr.scribd.com/doc/46104003/RSA26#fullscreen" target="_blank">scribd</a>.<br />
On peut aussi retrouver la Revue <i><a href="http://ruesaintambroise.weebly.com/" target="_blank">Rue St Ambroise</a></i> sur <a href="https://www.facebook.com/ruesaintambroise.revue" target="_blank">facebook</a>.<br />
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Tous les anges n’ont pas le vin gai. En tout cas celui qui était affalé au comptoir ce soir-là ne semblait pas particulièrement s’amuser. Combien de verres avait-il déjà commandés? Difficile à dire: au bar des anges, personne ne surveille personne. Du reste, là ou ailleurs, il n’y a pas de préposé à la garde des anges gardiens, ça n’existe pas… Pourtant celui-là en aurait peut-être eu besoin, car il avait une descente particulièrement rapide, a fortiori pour un ange. Et ne parlons pas du coup de canif que ces quelques verres en trop étaient en train de flanquer à son contrat: Dieu merci, aucun humain ne rôdait dans les parages et c’est heureux car la vision qu’il offrait n’aurait pas été de nature à rassurer qui que ce soit sur la bonne marche du monde. </div>
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<i>MAJ 29.06.13</i><br />
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Ce texte est à présent publié en version autoéditée <a href="http://www.amazon.fr/dp/B00DPK68GM" target="_blank">ICI</a>. </div>
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Vous êtes-vous déjà demandé pour quelle raison il vous arrivait de cumuler les ennuis pendant trois mois alors qu'auparavant tout semblait vous sourire? Sans trouver le moindre élément de réponse qui semble un tant soit peu rationnel...
Et si parfois les fils de nos vies se nouaient et se dénouaient en passant par les nuages...? </div>
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C’est en la voyant sur son lit de mort que j’ai fait cette découverte. Bien que nous ne soyons pas des parents si proches, mon père et moi étions venus pour la levée du corps: en dehors de ma grand-mère, qui ne pouvait pas se déplacer, elle n’avait plus que nous. L’employé des pompes funèbres a dit que la personne chargée de sa toilette mortuaire n’avait pas réussi à lui fermer complètement la bouche; j’ai le souvenir qu’il exprimait une sorte de surprise désolée, un embarras qui me sembla sonner faux et que je me suis ensuite demandé si en réalité, il n’avait pas tout simplement voulu avoir l’occasion d’en parler.<br />
Je me souviens que cette bouche béante m’a choquée. C’est sans doute pour cela que j’ai détourné le regard sans comprendre qu’il y avait quelque chose à voir. Pour le reste, elle était telle que je la connaissais, ses quelques cheveux blancs bien peignés, petite silhouette tassée, pas de cou, peu de jambes, d’apparence plus frêle couchée qu’en station verticale, position dans laquelle son physique râblé n’évoquait pas la fragilité. Elle était née avant le siècle et pour moi, je la connaissais depuis toujours: j’étais une gamine et j’ignorais alors que je ne savais rien d’elle ni de personne.<br />
Ce jour là je me trainais. Je m’ennuyais mais cela m’était égal, je n’avais envie de rien, pas même de fêter mon anniversaire, qui allait pourtant bientôt survenir: au contraire, j’aurais voulu que le temps s’arrête. Je n’avais pas encore onze ans, le printemps ne faisait que s’annoncer et j’en étais à mon deuxième mort de l’année. Ma deuxième morte, devrais-je dire, puisque c’était les femmes de la famille qui me semblaient soudainement tomber comme des mouches. Un mois auparavant j’avais enterré ma mère sans réussir à verser une seule larme et là je me retrouvais à devoir accompagner mon père aux funérailles de mon arrière-grand-tante. Cette journée avait démarré comme les précédentes, dans une sorte de brouillard intérieur, compact et finalement rassurant, dont je n’essayais même plus de sortir. La voix paternelle m’a pourtant ramenée au réel comme par traitrise: «oui, elle avait bien une double dentition; et en bon état ou presque, encore à son âge… c’est vrai que c’est rare».<br />
Je me revois lever la tête vers mon père, alors en pleine conversation avec l’employé des pompes funèbres et la directrice de la maison de retraite, puis tourner mon regard vers la bouche de tante Germaine et effectivement constater la présence d’une double rangée de dents, en haut comme en bas. Je n’avais pas dû prononcer deux mots depuis le début de la journée, aussi est-ce avec surprise que je m’entendis demander : «mais comment est-ce possible?». «Ses dents de lait, me répondit-il. Elles ne sont pas tombées et les autres ont poussé quand même».<br />
La nuit précédente, j’avais fait mon cauchemar habituel: presque toutes mes dents tombaient, une par une, et j’arrachais celles qui restaient. Dent qui tombe, rêve de mort, disait ma grand-mère. Le songe n’était pas prémonitoire: je savais déjà, pour la tante Germaine. Et pour ma mère, il n’était plus temps. Ou s’il était prémonitoire, cela ne voulait dire qu’une chose : nous allions tous mourir. Etait-ce qu’il fallait comprendre? La série noire ne faisait-elle que débuter? Et dans ce cas, qui allions-nous enterrer le mois prochain? Je priais pour être en tête du convoi, je me disais que j’en avais assez de suivre. A dix ans, on vient d’entamer sa première année d’âge à deux chiffres et on ne sait pas qu’on n’a qu’une vie.<br />
Une vie, une seule.<br />
Sauf, peut-être, quand on a deux rangées de dents? Après tout, Germaine avait bien eu deux maris…<br />
«Tu sais, ma tante n’a pas eu une vie bien heureuse», me dit ma grand-mère quand je l’interrogeai. «Elle a perdu sa sœur très jeune», continua-t-elle de sa voix fatiguée, quand elle vit que je ne la tenais pas quitte pour si peu; le temps que je comprenne que la sœur en question était sa mère à elle, morte en couches, elle avait déjà enchainé. «Elle a ensuite perdu deux maris et dû durement travailler, drôle de vie». «Elle n’a pas eu d’enfant», dit-elle enfin, avant de fermer les yeux pour signifier la fin de l’exposé et sans qu’on puisse savoir si ne pas se reproduire avait été une tristesse de plus ou une consolation au milieu du reste.<br />
J’essayais de mettre ce compte-rendu pour le moins succinct bout à bout avec d’autres petites phrases, entendues çà et là, à la faveur des quelques rares visites à la maison de retraite ou des commentaires qui s’ensuivaient. Je me souvenais avoir entendu ma mère évoquer le «physique de bouledogue» de sa grand-tante, ainsi que sa vie étriquée et son avarice; mon père avait répondu qu’elle ne risquait pas d’être prodigue, n’ayant jamais rien eu, mais qu’elle ne laissait rien perdre – question de moyens. «Déjà quand elle était jeune, elle avait un sacrée caractère» avait dit un jour ma grand-mère à mon père, en catimini, alors que ce dernier revenait du bureau de la directrice. Ce dimanche-là, Germaine nous avait emmenés passer un instant dans le jardin pour expliquer qu’elle ne supportait plus sa compagne de chambre, qui racontait toutes sortes de bêtises, prétendait-elle. «Elle a été jusqu’à dire qu’un ouvrier avait voulu la violer la semaine dernière, tu parles! Elle n’est pas seulement gâteuse, elle est folle à lier et elle m’empêche de dormir. Si on ne me change pas de chambre, il va arriver un malheur!» Ma mère était là, elle s’était moqué et avait dit tout bas à mon père «mais c’est qu’elle mordrait…», je me souviens qu’il avait retenu un sourire et dit à la tante qu’il allait voir ce qu’il pouvait faire. Je crois qu’à la visite suivante, elle n’était plus dans la même chambre, mais était-ce pour cette raison? Il s’écoulait du temps entre nos visites…<br />
«Pourquoi Germaine n’a-t-elle pas élevé Grand-mère?» demandai-je un jour à mon père. «C’était sa nièce.» «Ta grand-mère avait un père, me répondit le mien. Et ce n’aurait pas été un cadeau, tu sais, Germaine en était certainement consciente. – Elle avait mauvais caractère à ce point-là ? ai-je rétorqué, suffoquée. – Non, ce n’est pas pour ça, n’exagérons rien, dit-il en souriant de son air las. Son mari buvait et la battait, je suppose qu’elle n’avait pas envie de mettre un gosse au milieu de tout ça. D’ailleurs, elle n’en a pas eu.»<br />
Je ne comprenais plus rien: j’avais toujours entendu Germaine évoquer Léon comme étant son amour de jeunesse, ce qui m’avait conduit à supposer qu’il s’agissait de son premier mari ; son second mariage, contracté à l’âge mûr, ne pouvant à mes yeux être entaché de quelque romantisme que ce soit. «C’était bien son amour de jeunesse, confirma mon père. Mais les parents n’ont pas voulu qu’ils se marient, il était promis à une autre. Qui ne l’a pas rendu heureux. Elle aussi a dû se marier, mais… je t’ai dit. Ils ont ensuite tous les deux perdu leur conjoint. Des années plus tard, les hasards de la vie leur ont permis de se retrouver, ils étaient restés dans leur région et aucun d’eux n’avait oublié l’autre, ils se sont alors enfin mariés. Ca n’a pas duré longtemps, Léon est mort assez vite, mais ils ont été heureux, même si pour les enfants, c’était trop tard. Ta grand-mère était déjà une jeune fille quand Germaine a épousé Léon, elle était élevée. Elle l’aimait autant qu’elle avait détesté le premier mari de sa tante et m’a toujours dit qu’ils étaient follement amoureux.»<br />
A dix ans, c’est souvent difficile de se représenter les adultes, surtout d’âge mûr, amoureux et s’adonnant aux activités qui découlent de l’état en question. Quand en plus il s’agit d’une arrière-grand-tante aux cheveux clairsemés et dotée d’une allure de pot-à-tabac, pour reprendre l’une des charitables expressions de ma mère, il faut déployer des trésors d’imagination pour envisager le mariage sous l’angle d’une idylle romantique. Pour ma part, je n’avais jamais écouté les anecdotes de la tante Germaine sur son Léon qu’avec beaucoup de détachement et sans plus m’y intéresser qu’à ses déboires avec ses compagnes de chambre. Et avoir découvert qu’elle avait deux rangées de dents ne m’avait pas incitée à l’imaginer en train de se faire embrasser. C’est donc très brutalement que je me retrouvai et d’une, propulsée de l’hospice de vieux à Vérone, et de deux, fêtant la victoire de dents de lait que rien n’avait pu faire tomber au lieu d’y pleurer la mort des amants… Sans doute avais-je besoin de cela à ce moment-là; toujours est-il que Germaine occupait beaucoup mes pensées.<br />
Nous avions rapporté de sa chambre quelques vieilles photos et une bague, qui m’allait au majeur. Mon père proposa de me la donner et je m’assurai qu’elle venait bien de Léon et pas du premier mari. «Elle n’a rien gardé de lui», m’assura-t-il. Ma grand-mère confirma d’un geste; elle ne répondait plus à mes questions que de manière très brève et sortait de moins en moins de son lit. Je rêvais encore de dents qui tombaient mais au matin, j’enfilais la bague de Germaine à mon doigt et me sentais mieux.<br />
Le jour de mon anniversaire, mon père me proposa de m’emmener déjeuner au restaurant routier du village voisin, où il allait parfois. Je l’y avais déjà accompagné et connaissais la serveuse de vue: une toute jeune femme, courte sur pattes, un peu trapue, au décolleté avenant, vive et qui sans être jolie semblait plaire. Une fois la voiture garée et le moteur arrêté, nous primes conscience du caractère inhabituel du fond sonore. Au lieu du brouhaha attendu, la voix forte de Mike Brant, qui nous happa plus encore une fois la porte poussée. «Qui saura, chantait la voix, Qui saura, qui saura, qui saura Qui saura me faire oublier dites-moi…» A leur table, les clients semblaient étonnamment silencieux. Figée devant le téléviseur, la serveuse était en larmes et le patron fit signe à mon père de s’approcher, pour s’adresser à lui en levant les yeux au ciel: «Cette fois il s’est pas loupé. D’une terrasse, mort sur le coup. Un beau gosse comme ça, qu’avait tout pour lui, c’est quand même bête…». Le visage de la serveuse était inondé de larmes. Celui du chanteur apparaissait en gros plan sur le poste couleur, l’œil plissé et la bouche largement ouverte sur une note qui n’en finissait pas: «Qui saura me faire oublier dites-moi Ma seule raison de vivre Essayez de me le dire» Sa voix chaude résonnait dans ma tête. «Je sais bien que le bonheur n'existe pas», poursuivit-il, et je me souviens m’être alors dit que personne ne savait rien sur personne et encore moins sur le bonheur. La caméra s’éloigna et la télé le montra en pied. Il était jeune, grand et beau. Je ne savais rien de plus à son sujet, si ce n’est qu’il était un chanteur pour teen-agers. A cette époque je venais à peine de démarrer l’apprentissage de l’anglais mais j’avais retenu que les âges en teen, c’était seulement à partir de treize. Je n’en étais pas encore là, c’était le jour de mes onze ans. Onze: un et un, le premier un pour la décennie qui venait de s’écouler, le second pour celle qui démarrait.<br />
Le patron nous désigna une table d’un geste de la main et mon père me fit signe de m’asseoir en me dégageant une chaise. Je tournais et retournais la bague de Germaine autour de mon doigt.<br />
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<i>Geneviève Alméras </i></div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-53033473861797526032007-06-08T23:01:00.001+02:002013-08-30T22:29:58.419+02:00Porteur sain<div align="justify">
Ce monde est cruel, même les agneaux ont la rage. Trop de renards en liberté, sans doute. Difficile de ne pas se faire mordre. Personne n’y échappe. Ceux chez qui ça ne se voit pas ne sont rien d’autre que des porteurs sains. Voilà au moins une chose que j’ai comprise depuis longtemps.<br />
Pourtant, quand je l’ai vue, elle, j’ai vraiment cru qu’elle était différente. Son visage rond et lisse, son sourire clair, la manière qu’elle a de vous regarder droit dans les yeux, sans aplomb et sans défiance, sa voix légèrement chantante, tout m’a inspiré confiance. Jolie mais sans plus, pas le genre dont on dit «trop belle pour être honnête», le visage juste comme il faut pour qu’on puisse y poser son regard tranquillement et se sentir à l’aise. Tranquillement: voilà le mot qui m’est venu à l’esprit quand j’ai rencontré Anita. </div>
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<a name='more'></a><i>MAJ 08.13</i>. Publication à venir dans le numéro 12 de <a href="http://www.cohues.fr/" target="_blank">Cohues</a><br />
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Le poste grésille et elle croit comprendre que les poissons vont recevoir une bonne nouvelle – mais peut-être s’agit-il des béliers. Quand le mot gémeaux parvient à son cerveau embrumé, elle dresse l’oreille et entend la voix dire qu’elle risque de ne pas être très disponible aujourd’hui, en tout cas mal réveillée – à croire qu’il y a une caméra cachée dans sa chambre. «Vous aimeriez plutôt rester dans votre coin et faire le tri dans vos pensées, continue l’augure. Attendez-vous à avoir des idées un peu obsédantes que vous essayerez vainement de chasser de votre esprit. C'est un peu comme si de vieilles histoires du passé remontaient à la surface pour que vous puissiez vous en défaire...» – et soudain il est question du signe suivant.<br />
Absurde, pense-t-elle, soulevant péniblement le haut du corps pour tendre le bras, tourner le bouton et changer de fréquence. L’image de la valise ouverte danse encore devant ses yeux. La musique de la station suivante lui semble criarde et insupportable, elle choisit de s’arrêter sur une voix. Une femme, qui parle de la condition féminine sur l’ensemble de la planète, à grand renfort de chiffres. Elle croit comprendre que le Parlement le plus proche de la parité est celui du Rwanda – ou bien est-ce la Suède? La sorcière a raison, elle n’est vraiment pas réveillée. Elle voudrait pouvoir éteindre et se rendormir, se nicher dans la chaleur de la couette, caler le traversin contre son ventre et se laisser plonger. Mais dès qu’elle ferme les yeux, les images reviennent et avec elles cette douleur sourde. L’odeur de café la rassure sur le fait qu’elle a bien pensé à régler le percolateur la veille, mais elle constate que la pensée de se servir une tasse de liquide bouillant ne lui procure aucun plaisir ni ne lui donne le moindre courage pour se lever. La douche, peut-être?<br />
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L’eau tiède coule sur son corps et emplit doucement le fond de la baignoire d’une écume opaque; plaquée au mur, les épaules collées au carrelage, elle se rend compte qu’elle n’en sent plus la fraîcheur et que l’eau arrive à ses chevilles, il est temps d’en finir. Sans même avoir fermé les yeux cette fois, elle revoit la valise inondée et les affaires qui flottent à l’intérieur. En plus il en manque la moitié. Son sac à main a disparu et elle n’est couverte que d’une chemise d’homme sur laquelle elle tire désespérément pour qu’on ne voie pas ses cuisses et qui la laisse dépoitraillée. Qu’est-ce que ce rêve peut bien vouloir dire? Ridicule. Elle saisit le pommeau de la douche et dirige l’eau vers son visage, espérant s’éclaircir le teint et si possible les idées.<br />
Ses ablutions terminées, elle s’habille immédiatement puis veut se servir un café. Prise d’une nausée à l’approche du mug, elle doit le reposer aussitôt. Il ne manquerait plus que ça. Au dessus du liquide fumant, une farandole de petits cœurs roses et blancs à peine immergés lui semble barboter mollement et sans joie. Ah non, pas ça. Elle décide de repousser à plus tard la question de l’origine du malaise, puis se demande si casser la tasse lui procurerait un soulagement et si un thé passerait mieux.<br />
La vaisselle de la veille est entassée dans l’évier plein d’un liquide stagnant à la composition improbable où flottent quelques arêtes qui ont échappé à la poubelle. Elle lève le bouchon pour vider l’eau sale en même temps que le café, qui dessine d’éphémères volutes brunes aux traces écœurantes. Ouvrant le robinet d’une main elle envoie une giclée de liquide vaisselle de l’autre. Une ligne rougeâtre encercle le bac, délimitant avec précision la hauteur du trempage de la nuit, résidu de ketchup et dernier vestige du dîner de la veille et de ses amours perdues. Il aura suffi de quelques mots et les plus importants n’ont pas été prononcés, est-ce que c’est toujours comme ça? Elle rince rapidement les deux assiettes en se demandant laquelle a été la sienne et se dit qu’elle jettera l’éponge dès qu’elle aura fini de tout nettoyer. Les assiettes aussi, peut-être. D’ailleurs si elle pouvait tout jeter de ces deux dernières années, elle le ferait. Tout passer dans l’évier. Ou la poubelle. Ou les toilettes. Tout gerber. Un bon coup et en finir.<br />
À la radio, le débat se poursuit et si à présent elle a compris que dans quelques jours ce sera la journée de la femme, elle n’a en revanche pas la moindre idée de l’heure qu’il est. C’est ridicule d’avoir changé de station, un coup à se mettre en retard, elle n’a aucun repère sur celle-ci. Un regard au réveil-radio lui confirme qu’elle n’a plus le temps de faire du thé. Tant pis, de toute manière, elle n’a envie de rien. Peut-être qu’en prenant l’air elle se sentira mieux.<br />
<br />
Il pleut à verse et le sol défoncé par endroits oblige à marcher entre les flaques. Elle s’accroche à la lanière de son sac à main, chassant la vision de son contenu répandu sur le sol, de ses affaires éparses et trempées et d’elle qui se penche pour les ramasser et bascule finalement dans une flaque d’eau noire et poisseuse d’où elle ne peut s’extirper. L’image de la valise ne la quitte pas, celle de l’après-dîner, la vraie, jetée sur le lit, bourrée d’affaires mises en vrac, puis sur le palier, fermée et tendue à craquer, combien pouvait-elle peser, comment a-t-il réussi à l’emporter? Ou celle du cauchemar, éventrée, à demi-vidée, souillée, flottant sur une eau incertaine et la laissant démunie, plus qu’à moitié nue et vidée de sa substance.<br />
Le bus passe au moment même où elle arrive à la station. Il est déjà plein, ce qui n’empêche pas les gens de forcer la montée, poussant de toutes leurs forces les passagers précédents et les exhortant à avancer vers le fond. N’imaginant même pas de tenter sa chance, elle décide de s’asseoir et d’attendre le suivant. Fatiguée. Elle est fatiguée. Fatiguée et nauséeuse. Tous ces gens. Ces odeurs. Ces flaques huileuses. Le bus démarre, dos écrasés contre les vitres des portières, sacs tordus, corps entassés, odeurs enchevêtrées, dans un désordre qui n’a rien à envier à celui de sa valise défoncée. Elle peine à croire qu’il va pouvoir rouler avec une telle charge – mais n’est-ce pas la même chose tous les matins?<br />
Le suivant des yeux, elle tourne la tête et restée seule sous l’abribus, découvre l’affiche publicitaire qui en orne le côté et pense que cette fois, ça y est, elle va vomir: un poisson rouge dans son aquarium la fixe de ses yeux globuleux, l’obligeant à s’appuyer contre la cloison et à détourner le regard.<br />
<br />
L’aquarium.<br />
Elle a huit ans et son poisson rouge ne bouge plus. Jusqu’à la semaine dernière, ils étaient deux mais depuis il en manque un; on l’a retrouvé sur la moquette: il a sauté du bocal, aucune autre explication n’est possible. Elle se souvient s’être demandé si un poisson rouge pouvait avoir envie de voir d’autres horizons. Et ce matin-là, elle se demande si son compagnon peut mourir de solitude. Car le laissé-pour-compte flotte à la surface, ventre à l’air – et pour elle, c’est le monde qui est sens dessus dessous. Son grand frère a compris qu’elle a besoin d’explications. Alors il se lance, il lui fait un cours. Il dit que dès leur mort, les poissons commencent à pourrir intérieurement et que leur ventre s’emplit de gaz, à cause de la décomposition de leurs viscères, ce qui les fait remonter à la surface et surnager à l’envers.<br />
Pendant des mois, la vision de ce ventre saillant ne va plus la quitter. Encore à cet instant, sa mâchoire se contracte spasmodiquement, sa gorge se noue et ses yeux piquent comme si elle allait…<br />
Pleurer?<br />
Non.<br />
Elle sait qu’aucune larme ne coulera. D’ailleurs la pluie s’est arrêtée et le bus arrive, plein, à nouveau. Il roule vite et fait une embardée à l’approche du trottoir. Elle n’aurait pas dû se lever. Elle a mis une seconde de trop à reculer et éprouve un haut-le-cœur encore plus violent que les précédents tandis que l’eau du caniveau lui cingle les mollets. </div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-71617724557082868152006-12-15T10:00:00.000+01:002013-11-03T23:01:08.654+01:00Le point sur le i<div align="justify">
<div class="MsoNormal">
Elle m’a dit de bien réfléchir à ce que je vais dire. De
bien choisir chaque terme. Que chaque parole va compter. Que j’aurai peu de
temps et qu’à un juge pour enfants, on ne parle pas n’importe comment. Qu’il
faudra que je pèse mes mots. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
Depuis je ne cesse de me demander comment on les pèse, les
mots: au nombre de lettres, à l’encre qu’il faut, à l’ouverture de la
bouche? <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
Le plomb et la plume, cinq lettres dont trois identiques, ça
pèse la même chose? Peut-être que le nombre de voyelles et celui des
consonnes, ça fait la différence? Ca doit être ça. Rien qu’en le disant,
on l’entend. Voyelle, c’est léger, tout doux, on se sent bien en disant ce mot
là. Consonne, ça accroche, c’est lourd à la bouche, on le sait tout de suite
qu’on ne va pas décoller avec ça. Consonne, ça devrait être masculin, c’est
lourd et c’est moche. Plomb, c’est plus lourd que plume parce que ça finit par
une consonne et que c’est masculin. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Je ne sais pas ce que je vais dire. Ce que j’ai fait, c’est
évident et ça se passe de mots. Je ne pouvais pas faire autre chose, si j’avais
pu, je n’en serais pas là. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Ils disent que je pouvais partir, qu’il y a des endroits où
j’aurais pu aller, qu’on m’aurait trouvé un foyer. Bien sûr. Et je l’aurais laissée,
elle, prendre ma place? Ils disent que je ne peux pas prendre en charge
la vie des autres, qu’il faut que je m’occupe de ma vie à moi, que tout ça
c’est trop, trop lourd à porter, que je n’ai pas l’âge, que ce n’était pas à
moi de m’occuper d’elle, que je suis sa sœur, pas sa mère. Que j’aurais dû
aller parler à quelqu’un. Et là aussi, il aurait fallu que je trouve les bons
mots, je suppose? Parce que je l’ai dit qu’il y avait des problèmes, je
l’ai dit; je l’ai dit à sa maîtresse, le soir où elle a demandé à voir les
parents, je l’ai dit à mon collège. Mais personne n’a voulu entendre. «Des
problèmes, qui n’en a pas? Occupe-toi de ton travail, pense à ton
avenir... Dis quand même à ta mère que j’aimerais la voir, dis-lui de venir à
la prochaine réunion ou quand elle veut, un soir.» Une fois, une seule fois,
elle est venue, elle a fini par venir, ma mère, voir les professeurs, une fois.
Et comme elle aurait été bien incapable de leur parler de mon travail, elle a raconté
qu’elle n’en pouvait plus, qu’elle avait découvert que je volais. Alors avec
ça… une fille qui vole, qui va l’écouter? <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Voler. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
C’est autrement que j’aurais bien voulu pouvoir voler… me
sentir légère, plume au vent, m’envoler, si seulement. Ils peuvent bien dire ce
qu’ils veulent, ils ont aussi compris ce qu’ils voulaient bien comprendre.
Comme pour le cran d’arrêt. Ce jour là, ils ont bien rigolé, les flics, quand
j’ai dit que ce n’était pas pour l’utiliser, va-t-on me le ressortir
maintenant? J’aimais bien ce couteau. Il faisait un V quand on l’ouvrait,
puis un L ensuite. C’est eux qui n’ont pas arrêté de l’ouvrir en i majuscule,
dressé à l’éventration, prêt à saigner tout ce qui passe et à se dessiner un
point à partir de n’importe quelle flaque. Moi, j’ai même pas eu le temps, tout
de suite le vigile m’a vue. Ils l’ont pris et je m’en fichais. Qu’ils le croient
ou non aujourd’hui, je n’avais encore rien décidé. Et des couteaux, il y en a
plein les cuisines. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
Ils s’attendaient à tout sauf à ça, l’un des flics a dit «d’habitude
c’est les soutifs et le maquillage», ils m’ont regardée comme si j’étais folle,
un autre a dit «le reste on ne veut pas le savoir, c’est un vol»:
dommage, il ne leur manquait qu’une lettre. On va faire le point, a dit
l’éducatrice. J’aurais bien voulu, moi, qu’on fasse le point. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
Les points sur les i, elle m’a assez dit que j’avais besoin
qu’on me les mette, et du plomb dans la tête, la juge, aux comparutions pour
vol. Tu parles. Juge et avocat, c’est des mots plombés, des mots sans i, les i
elles doivent pas connaître. C’est à elles qu’il aurait fallu dire de le
mettre, le point. Et déjà mettre le i dessous – c’est sûr qu’avec le i, le mot,
il devient tout de suite différent, il râpe un peu plus la bouche, hein... et
tant qu’à parler de poin-s, reste à savoir desquels on cause. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Parce que les poings pour cogner, il avait pas besoin qu’on
lui mette, lui, il savait s’en servir. Même si le pire c’est que c’était pas
avec ça qu’il faisait le plus mal. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
Ce soir-là quand je suis arrivée à la maison, elle était
dehors, assise par terre, entre la porte et les poubelles, recroquevillée,
transparente si elle avait pu. J’ai dit sœurette, bébé, c’est moi, mais rien,
elle a pas bougé, elle pleurait. Sans larmes, sans bruit, les yeux vides, elle
pleurait en apnée, comme quand on a peur de tout, même de pleurer. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
Et là j’ai compris qu’il fallait. Que même j’avais trop
attendu. Que même la seule chose que j’aurais à me reprocher, c’était de pas
l’avoir fait avant. <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Je suis rentrée et j’ai posé mes affaires, il était affalé,
comme d’habitude, contre la table de la cuisine, avec sa chope de bière;
il m’a regardée et il m’a dit qu’il s’en foutait de moi maintenant, depuis le
temps que je disais que je voulais aller vivre ailleurs, je pouvais bien partir
si ça me chantait. Puis il a rigolé et roté un coup. Putain, elle est si
petite, que je me suis dit; puis j’ai pensé que j’avais toujours su que
ça arriverait et même que c’était pour maintenant; parce que ça y est, elle
a l’âge que j’avais la première fois, le jour où il m’a fait saigner. Alors j’ai
attendu qu’il dorme et je l’ai fait. Sans mots et sans larmes, juste le sang,
comme pour elle et pour moi. Je l’ai fait, c’est tout. Qu’est-ce qu’ils veulent
savoir de plus? <o:p></o:p></div>
<div class="MsoNormal">
<br /></div>
<div class="MsoNormal">
Je l’ai fait, j’ai rien d’autre à dire. <o:p></o:p><br />
<br />
<br />
<i>Geneviève Alméras</i> </div>
</div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-88417357042816536352006-11-03T05:00:00.000+01:002013-11-03T23:00:52.657+01:00Toussaint toute l'année<div align="justify">
Bon pied, bon œil, Camille glissa furtivement dans l’entrée et descendit l’escalier, tandis que Charlotte, occupée à finir la vaisselle, tournait le dos à la porte. Elle traversa le jardin en prenant garde de ne pas faire crisser les cailloux. La grille n’était pas fermée à clef et se laissa ouvrir sans trop de difficultés. Une fois sur le trottoir, elle avança d’un pas alerte. La voisine ouvrait sa fenêtre, elle se dépêcha: aucune envie de bavarder. Le temps était parfait pour la promenade qu’elle prévoyait, quelle chance! Arrivée au bout de la rue elle se retourna et vit les deux gosses qui couraient en lui faisant de grands signes. Soit. Elle allait avoir de la compagnie. Elle sourit en fouillant ses poches pour vérifier qu’elle avait bien pensé à prendre quelques bonbons.<br />
<br />
L’escalier ne lui sembla pas difficile à descendre et Camille eut un sourire en pensant à la respiration haletante qu’aurait sa fille si elle surgissait à cet instant. La pauvre Charlotte vieillissait mal, pensa-t-elle, moqueuse. Et cette manie de la surveiller sans arrêt! Pour l’heure, en tout cas, le jardin était vide, personne ne lui barrait le chemin, elle pourrait aller à son rendez-vous. La grille était poussive mais elle parvint à l’ouvrir et se retrouva dans la rue. Fallait-il prendre sur la droite ou sur la gauche? Elle opta rapidement pour la droite en voyant les rideaux se soulever à la maison d’en face, de sorte qu’elle avait déjà fait quelques pas quand la fillette la rejoignit sur le trottoir et lui dit en lui prenant la main que son frère et elle allaient l’accompagner. Elle accepta en souriant mais elle ne fut pas dupe: ils avaient dû voir qu’elle avait des bonbons.<br />
<br />
Pour Camille, l’escalier n’était toujours pas un problème malgré son âge: l’avantage de n’avoir que la peau sur les os, c’est que vos jambes continuent à vous porter, à l’opposé de ce qui se passe quand, comme c’était le cas de Charlotte, on avait pris un kilo par an pendant trente ou quarante ans. Pauvre Charlotte, qui peinait à la suivre malgré ses presque vingt ans de moins. Et en plus, elle croit que je fais la sieste, pensa-t-elle en riant intérieurement. La grille, elle, était un obstacle: il lui fallait tirer de toutes ses forces pour l’ouvrir et elle grinçait atrocement, manifestant clairement qu’elle était dans le camp de sa fille, de la voisine d’en face et des autres, celui des ennemis de la liberté. Une fois dans la rue, Camille éprouva d’abord un violent sentiment de victoire puis les problèmes commencèrent: où donc était ce fichu cimetière et de quel côté fallait-il se diriger? Bien qu’elle eût aimé y aller seule, à ce stade elle n’était pas forcément mécontente de voir les enfants arriver et tels deux petits anges gardiens lui prendre la main et l’emmener voir Jules en l’interrogeant sur lui et leur jeunesse, enchaînant les questions aussi vite que les bonbons.<br />
<br />
Personne ne pouvait nier que cet escalier était un peu raide, mais en tenant bien la rampe, elle le descendait sans problème. Dans l’allée du jardin, le sol était irrégulier mais elle avait sa canne. Celle-ci ne lui était en revanche d’aucune utilité pour la grille, dont elle savait qu’elle allait lui résister. D’ailleurs elle avait toujours détesté cette grille, laide, lourde et parfaitement inutile de son point de vue. Ce qu’elle ne se privait pas de lui signifier, au moment où elle la franchissait : pauvre idiote de grille, tu peux toujours couiner et gémir, ce n’est pas moi qui te ferais repeindre. Le trottoir aussi était stupide, pentu et étroit, ne cherchant qu’à la faire tomber, mais c’était un plaisir qu’elle ne lui offrirait pas deux fois. Depuis sa chute, elle avait décidé de le traiter par le mépris et de ne plus marcher qu’au milieu de la rue, la tête haute et sans un regard pour la maison d’en face: qu’elle le passe son coup de téléphone, si elle y tenait, cette vieille toupie! S’il pouvait la voir d’où il était, Jules devait être fier d’elle. Quant à Charlotte, qu’elle la fasse, elle, la sieste, si elle était fatiguée. Camille avait à faire et ce n’était pas sa fille qui l’empêcherait d’aller voir son mari, ni une petite marche à pied qui allait lui faire peur. Et les enfants, si vraiment ils voulaient l’accompagner, eh bien pourquoi pas? Des enfants, ce n’est pas fait pour rester enfermés, une petite balade leur ferait le plus grand bien. Et après tout ils pouvaient bien venir de temps en temps sur la tombe de leur arrière-grand’père, c’était la moindre des choses. Et de leur grand’père aussi, pourquoi pas? Camille trouvait son gendre aussi ennuyeux mort que vivant, mais c’est vrai qu’on n’allait pas passer à côté de la tombe sans jeter un coup d’œil. Les enfants n’auraient qu’à y aller sans elle, c’était à deux pas. S’ils la laissaient tranquille et étaient sages, elle leur donnerait peut-être un bonbon.<br />
<br />
A la voir descendre l’escalier, on ne lui donnait certes pas ses quatre-vingt-dix ans et c’était un vrai problème pour sa fille, moins valide et dont elle trompait régulièrement la vigilance malgré la sollicitude des voisins, qui l’alertaient à l’occasion. Une fois dans le jardin, elle avait un peu de mal à s’y reconnaître mais ses yeux étaient rapidement happés par la grille, dont elle savait qu’elle devait la franchir, en espérant n’être pas repérée par les yeux ennemis qu’elle devinait derrière toutes les fenêtres de la rue. Personne n’avait le droit de la tenir éloignée de celui qu’elle aimait depuis toujours. Leur amour avait triomphé de tous les obstacles et le jour où on la ferait céder là dessus n’était pas près d’arriver. C’est ce qu’elle expliquait à ses arrière-petits-enfants quand, une fois dans la rue, elle les voyait surgir derrière elle dans une cavalcade haletante. Les enfants n’étaient pas stupides et bornés comme sa fille, qui semblait ne plus rien comprendre au fur et à mesure qu’elle avançait en âge, ils se rendaient à ses raisons, proposant de l’accompagner. Pendant la promenade, le petit garçon lui donnait gentiment la main en lui rappelant qu’il s’appelait Julien, presque comme son arrière-grand’père, disait-il à chaque fois, comme si elle pouvait l’avoir l’oublié et n’avait pas compris qu’il ne songeait qu’à tenter de l’émouvoir pour lui soutirer un bonbon. La grande fille était gentille aussi bien qu’un peu énervante, à prendre l’air sérieux et à vouloir tout diriger. Une future Charlotte, pensait-elle, ça doit être de famille.<br />
<br />
Attention à l’escalier, il ne manquerait plus qu’elle tombe. Dès la dernière marche descendue, toute son énergie se déployait vers la grille, ses envies de liberté décuplaient ses forces et l’idée de se retrouver dehors la galvanisait. Toute sa vie, elle s’était battue, elle n’allait certainement pas rendre les armes aujourd’hui. Sa fille vieillissait mal, il fallait l’admettre. Sa fille devenait une vieille. Au début, cette idée l’avait amusée mais plus maintenant : quand elle lui avait dit que c’était drôle qu’elles soient toutes les deux vieilles, Charlotte n’avait pas ri – preuve qu’elle vieillissait mal, justement. Pauvre Charlotte, eh bien oui, vieille, elle l’était elle aussi, qu’elle le veuille ou non. Alors qu’elle cesse de lui seriner ses inepties sur ce qu’on pouvait ou ne pouvait pas faire à son âge et qu’elle s’occupe de sa vieillesse à elle puisque toutes ces histoires d’âge, de santé, de maladie et de précautions à prendre l’intéressaient tant. Camille, elle, avait l’âge qu’elle voulait et qu’on ne l’embête plus avec ça. Qu’on la laisse avec les enfants, au moins eux, ils comprenaient. Dès qu’elle serait sortie, ils allaient surgir, elle en était sûre. Et ils iraient voir Jules tous les trois. Le petit voleur de bonbons lui ressemblait un peu, il était vif et drôle. La grande fille viendrait aussi, bien que cela ne semble pas l’amuser. Camille voyait bien qu’elle se sentait obligée de surveiller son frère et ne les laisserait pas partir tous les deux. Trop raisonnable, cette gamine.<br />
<br />
Doucement dans l’escalier, doucement sur les cailloux, ce qu’il fallait, c’était arriver à la grille et réussir à l’ouvrir. La vieille d’en face devait faire la sieste, c’était le moment. Elle gloussa en pensant à sa cousine, qui la guettait aussi autrefois et l’avait dénoncée: paix à son âme. Doucement, se dit-elle, si je réveille Charlotte, c’en est fini de mon après-midi. Charlotte ressemblait de plus en plus à la mère de Jules, c’était quand même un comble! Cette vieille bique (pardon Jules, je sais, je ne devrais pas), bref, sa belle-mère, puisqu’elle avait bien dû se résigner à le devenir, n’avait jamais pardonné à Charlotte d’avoir été le bébé qui obligeait au mariage: drôle d’idée d’avoir choisi de lui ressembler! Camille gloussa à nouveau en se souvenant de la tête de tout le monde quand ils avaient annoncé la nouvelle. Sa mère avait pleuré de honte, Camille n’en était pas fière mais elle n’était pas non plus arrivée à éprouver le moindre remords: ils s’aimaient, cela devait arriver, comment pouvaient-ils ne pas l’avoir compris, tous? Et puis, quand on voit ce qui se passe maintenant, songea-t-elle, pas de quoi avoir honte parce qu’on vous met une ceinture rose sur la robe blanche, c’est vraiment pas le plus grave. Tiens, les petits qui arrivent, dommage qu’elle ne puisse leur expliquer tout ça. Elle gloussa à nouveau en pensant aux enfants qu’elle croisait autrefois en allant retrouver Jules: elle leur racontait que les grenouilles étaient de sortie et distribuait des bonbons pour qu’ils partent vers la mare et les laissent tranquillement chercher un fourré. Il lui sembla que la grande fille se renfrognait plus encore en la voyant rire, cette gamine était vraiment étrange, rien ne semblait l’amuser. Dommage. Le petit riait de bon cœur, lui. Tout le monde n’est pas doué pour le bonheur, pensa-t-elle, c’est certainement la plus grande injustice ici-bas.<br />
<br />
Elle avait descendu l’escalier et franchi la grille, l’avait-elle fait? Oui, c’était bien de là qu’elle venait, même si cette maison lui semblait parfaitement étrangère. Elle ne connaissait pas non plus cette rue qui n’était pas la sienne, qui n’avait rien à voir avec celle de sa jeunesse: où donc devait-elle aller, où était la maison de ses parents? Que lui voulait cette femme, à la fenêtre d’en face? Est-ce qu’ils essayaient encore tous de l’empêcher d’aller le voir ? Et lui, Jules, où pouvait-il bien être à cette heure-ci, pourquoi ne se montrait-il pas? Et ces enfants qui sortaient de la maison d’à côté, pourquoi lui parlaient-ils d’aller fleurir les tombes? Elle se laissa embrasser, perdue, les larmes aux yeux et même le bonbon que le petit garçon lui tendait ne réussit pas à lui arracher un sourire.<br />
<br />
<br />
Arrivé à la grille, deux pots de chrysanthèmes dans les bras, il jeta un coup d’œil circulaire et vit que, bien sûr, sa sœur était déjà là, en train de s’activer. Pour meubler l’attente (il était en retard!), pour se réchauffer ou parce qu’il le fallait? Un peu de tout cela, sans doute. Elle avait apporté un seau et une éponge en plus de son arrosoir et tentait de donner un coup de propre à la tombe, dégageant la dorure du nom des occupants, gravé sur la pierre. Jules et Camille. «Elle en aura mis du temps à le rejoindre», dit-il en regardant les dates. «Tu te souviens?» Ce n’est pourtant pas l’envie qui lui en manquait, pensa sa sœur, elle en est morte à petit feu et avait déserté depuis longtemps une vie qui ne l’intéressait plus et une famille qu’elle n’était plus capable d’aimer. Son frère ne voyait pas les choses comme cela. «L’ennui est qu’elle voulait le retrouver mais certainement pas en cédant un pouce de ce qui lui restait à prendre! Je n’ai pas le souvenir de l’avoir jamais vue laisser sa part, où que ce soit», enchaîna-t-il avec un petit rire sec en s’asseyant sur la tombe, comme il le faisait à six ans, attendant alors la réprimande pour partir au galop et se faire gronder plus sûrement encore: on ne court pas dans un cimetière. Sa sœur le regarda d’un air choqué, qu’il ignora délibérément, sachant parfaitement qu’il le devait autant à ce qu’il venait de dire qu’à son attitude désinvolte. Pauvre Grand’Mère quand même, pensa-t-il, elle l’avait aimé son Jules. Pauvre Mamie aussi, que sa vieille mère faisait tourner en bourrique et que son impotence réduisait à les expédier à sa recherche à chaque fois qu’elle disparaissait de son champ de vision et que leurs parents étaient au travail. Et eux deux, pauvres gosses, qui devaient cavaler et négocier avec leur arrière-grand’mère sénile. Pauvre Grand’Mère et pauvres gosses? Mais quelle idée stupide! Il regarda sa sœur qui continuait à le fixer d’un air réprobateur et fit mentalement la liste de tout ce qu’il aurait voulu être capable de lui dire sans avoir peur qu’elle le prenne mal: «ça fait si longtemps – tes prérogatives de grande sœur sont prescrites – arrête un peu – souviens-toi s’il te plaît – ces jours-là, on avait le droit de courir dans la rue – bien sûr que Mamie était fatiguée mais le jour où sa mère est morte, elle n’a plus eu besoin de se lever de son fauteuil et crois-tu qu’elle se soit mieux portée? – l’année prochaine, j’apporte des roses rouges à la place du pot de chrysanthème – qui d’entre nous n’a pas rêvé d’être aimé comme ça? – et quand même, on s’amusait bien…» Au lieu de cela, il se releva en époussetant son imperméable, suggéra de passer sur la tombe de leur grand’père, puis demanda: «Mamie va bien au fait? Et les parents? Dis-leur que je vais passer un de ces jours…»<br />
Un de ces jours, mais pas tout de suite, pensa-t-elle, en regardant son frère avec curiosité: bizarre pour un garçon qui répugne tant aux repas de famille d’accepter sans difficulté de sacrifier à la tradition des chrysanthèmes de la Toussaint. Au moment de se séparer, pendant qu’ils s’embrassaient devant la grille du cimetière, il jeta un dernier coup d’œil en direction de la tombe de Jules et Camille et se souvint de cette phrase entendue il ne savait plus où, selon laquelle l’enfance, ce serait Noël tous les jours. Chez nous, c’était plutôt Toussaint toute l’année, pensa-t-il. Cette idée le fit sourire: quand même, c’était bien.<br />
<br />
<i>Geneviève Alméras</i> </div>
GAlmhttp://www.blogger.com/profile/14190160504349296307noreply@blogger.com0tag:blogger.com,1999:blog-7017473517511865217.post-12129545838230377552006-02-10T02:00:00.000+01:002013-09-08T21:26:43.467+02:00Les bonnes intentions<div align="justify">
Madame Ballut s’inquiétait. Elle voyait de plus en plus souvent une petite invitée passer le jeudi après midi dans la maison d’en face et se demandait bien comment la mamie de Josie s’en sortait avec deux petites filles à surveiller. Non pas qu’elles ne soient pas mignonnes, ces deux gamines, au contraire, et elles semblaient bien s’amuser. Quand les fenêtres étaient ouvertes, on les entendait rire de la rue et quand elles étaient dans le petit jardin qui entourait le pavillon, entre cavalcades et dialogues de poupées, tout le voisinage profitait de leurs voix flûtées et de leurs bruitages divers. Pour sûr, c’était plutôt une bonne chose que Josie ait une petite amie pour jouer, personne n’allait dire le contraire. Mais pour la grand’mère, tout cela devait faire beaucoup d’agitation.<br />
Certes elle était courageuse, la mamie, elle ne s’en plaignait pas, même quand madame Ballut lui posait la question, comme elle le faisait parfois, un matin ou l’autre, chez l’épicier du coin. «Elles ne vous mettent pas trop de bazar?» Mais non, jamais un mot de travers, elle répondait toujours avec un gentil sourire en disant que c’était bon d’avoir de la gaieté dans la maison. Et elle repartait tout doucement, de sa démarche incertaine, avec sa canne et son panier à provisions, ou son filet, en regardant bien le sol. Madame Ballut se tournait alors vers l’épicier d’un air préoccupé, en hochant de la tête avec un soupir et celui-ci disait immanquablement «et pour vous, madame Ballut, ce sera quoi?», coupant court à toute velléité de commentaire sur sa voisine. A croire qu’il n’y avait qu’elle pour se préoccuper du sort de cette pauvre petite et de sa grand’mère. Comment les gens pouvaient-ils être à ce point indifférents?<br />
Elle eut un jour cette conversation avec madame Perrot, qui habitait au bout de leur allée pavillonnaire et dont la fille était en classe avec Josie et son amie du jeudi. Elle voyait régulièrement cette dame passer devant chez elle, aux heures de sortie de classe, donnant une main à son petit garçon et portant de l’autre le cartable de sa fille et parfois celui de Josie, à qui elle rendait son bien quand elles arrivaient devant la maison. Les deux filles se séparaient alors; Josie montait les escaliers du perron en agitant la main en direction de sa camarade; celle-ci, de son côté, prenait la main de son petit frère, qui se trouvait ainsi encadré par sa sœur et sa mère, et le trio continuait son chemin. Une fois ou l’autre, madame Ballut héla Josie juste avant la séparation d’avec son amie, lui disant qu’elle allait lui donner une part de gâteau ou un pot de confitures pour son goûter, espérant ainsi entrer en contact avec la maman qui l’accompagnait. Mais madame Perrot passait son chemin, se contentant d’un rapide sourire et Josie ne s’attardait pas non plus. Elle remerciait poliment, comme à chaque fois et comme, sans nul doute, le ferait sa grand’mère le lendemain ou le surlendemain sur le marché ou chez l’épicier, à la faveur d’une rencontre, puis elle retraversait la rue et rentrait chez elle. Jamais la moindre invitation, jamais la moindre bribe de conversation. En dehors des membres de la famille et de l’employé du gaz, aucun adulte n’avait dû entrer dans la maison de Josie depuis bien longtemps.<br />
C’est complètement par hasard que madame Perrot et madame Ballut se retrouvèrent un jour à la mairie, au service de l’état civil, faisant la queue pour obtenir un document et assises côte à côte sur les sièges de la salle d’attente. Il ne fut pas difficile à madame Ballut d’engager la conversation. Elle parla d’abord du temps qu’il faisait, puis de l’heure qu’il était et de la longueur de la file d’attente, pour arriver au fait qu’elle espérait bien en avoir fini à l’heure de sortie de l’école, bien que pour elle ce ne soit pas très important. A ce stade, elle était certaine d’entendre son interlocutrice rétorquer que pour elle, au contraire, un retard serait fâcheux. Cette remarque permit d’enchaîner sur les deux enfants de madame Perrot, que madame Ballut feignit d’identifier soudainement, et elle n’eut pas de mal à rendre cette dernière plus loquace en lui en faisant compliment. Au moment où elle évoqua Josie, madame Perrot quitta sa réserve, rassurée qu’elle était d’avoir enfin identifié sa voisine de chaise. Elle dit que sa fille aimait bien Josie et que, quant à elle, cette dernière lui semblait bien mignonne, très calme et bien élevée. Quand madame Ballut fit remarquer qu’elle y avait bien du mérite, elle admit qu’elle n’avait jamais vu ses parents et dit que la petite donnait l’impression d’être très autonome. Il lui avait semblé voir une grand’mère soulever le rideau de la fenêtre quand elle rentrait, précisa-t-elle; elle s’était alors dit que l’enfant n’était donc pas seule à la maison. D’ailleurs elle avait bien vu qu’elle n’ouvrait pas la porte avec une clef. Peut-être que les parents rentraient un peu plus tard, ajouta-t-elle. Est-ce que la mère travaillait? Cette question était tout ce que madame Ballut attendait. Elle put expliquer à sa nouvelle amie la situation de Josie, élevée par sa grand’mère et dont on ne voyait que rarement le père à la maison. Elle parla de la grand’mère âgée et fatiguée et quand elle la décrivit, madame Perrot convint qu’en effet, elle l’avait sans doute déjà vue au marché, mais pas chez l’épicier car pour sa part elle allait de l’autre côté de l’avenue, près de la gare, comme pour le pain. Après avoir concédé quelques minutes d’échange sur les mérites respectifs des deux épiciers et l’estimation de la distance entre leurs domiciles et les deux emplacements, puis sur la proximité des boulangers et la qualité de leur pâtisserie, madame Ballut revint au sujet qui lui tenait à cœur: cette pauvre mamie d’en face, pour qui personne ne semblait avoir la moindre compassion et la petite Josie, qu’il lui fallait élever seule la plupart du temps et qui, en plus, invitait ses petites amies à la maison, alourdissant ainsi la tâche de sa grand’mère qui n’avait vraiment pas besoin de cela. Alors qu’il serait tellement plus logique de songer à la soulager en invitant au contraire sa petite-fille de temps à autre, ce qui lui permettrait de se reposer un peu. Sans compter que dans une maison où il y a une mère, ajouta madame Ballut, on est plus rassuré, il y a une surveillance alors que là, il était clair que la pauvre mamie était dépassée ou n’allait pas tarder à l’être. S’il arrivait la moindre chose aux fillettes, ce n’est certainement pas elle qui serait au jardin en quatrième vitesse, madame Ballut était bien placée pour en parler, elle qui voyait tous les jours la grand’mère descendre péniblement son escalier pour aller chercher le pain et le remonter avec plus de peine encore. Alors bien sûr, les connaissant et habitant en face, elle veillait un peu et essayait d’avoir un œil sur les petites. Mais vous savez ce que c’est, ce n’était pas chez elle et ce n’était pas la sienne. Et elle ne pouvait pas savoir ce qui se passait à l’intérieur de la maison.<br />
Madame Perrot opinait et semblait réfléchir à ce que ces informations offraient comme perspectives quant à la vie de cette petite fille du même âge que la sienne, qui ne semblait pas si différente des autres à première vue mais dont il fallait bien admettre qu’elle l’était sans doute. Sa fille à elle n’était jamais allée jouer chez Josie ; de ce fait, elle n’avait jamais tenté de prendre contact avec ses parents. Au fond, c’est vrai qu’elle pourrait inviter la petite. Pourquoi pas, puisque sa fille et elle s’entendaient bien? Et tant mieux si cela soulageait la mamie. Et oui, bien sûr, il valait mieux que ce soit dans ce sens-là que dans l’autre. Les petites étaient encore bien jeunes pour ne pas être surveillées.<br />
De fil en aiguille, tant pour meubler l’attente que parce qu’elles avaient trouvé là un sujet de conversation qui leur convenait à toutes les deux, elles en vinrent à détailler les dangers qui guettaient les enfants sur lesquels aucun adulte ne pointait un œil acéré, en premier lieu desquels la rue, bien sûr. Il y a de plus en plus de voitures, disaient-elles l’une et l’autre, énumérant les portions de rue dans lesquelles les automobiles étaient de plus en plus nombreuses et roulaient bien trop vite. Madame Ballut raconta qu’une fois, elle avait vu arriver la petite amie de Josie avec des patins à roulettes, que les fillettes avaient essayés tour à tour dans le jardin. Mais dans le jardin, ça n’allait pas, expliqua madame Ballut, il y a des cailloux, on ne peut pas espérer y rouler. Elle avait bien cru voir le moment où les deux gamines décideraient d’aller dans la rue, seul endroit possible pour utiliser les patins. Et sur la route, pour sûr, car les trottoirs étaient bien trop étroits et pas assez lisses. Elle s’en était fait du souci ce jour-là, disait-elle, vous pouvez m’en croire. Heureusement, l’après-midi s’était écoulé et les fillettes étaient restées dans le jardin. Mais probablement qu’une fois ou l’autre, elles décideraient d’aller dans la rue, ce serait trop tentant. Et qui pouvait croire que la grand’mère se ferait obéir si elle l’interdisait? Et ce n’est pas elle qui irait courir après les filles, une fois celles-ci dehors… Et après tout, rien ne disait qu’elle leur interdirait de sortir, il n’était pas certain qu’elle évalue le danger correctement et ait vraiment conscience de la circulation croissante, peut-être raisonnait-elle à l’ancienne: il est vrai que lorsqu’elle était jeune, le quartier était moins construit et on y trouvait encore des champs.<br />
La maison aussi était pleine de dangers, renchérit madame Perrot, racontant qu’elle se souvenait que sa fille lui avait raconté, pleine d’admiration, que sa petite amie savait faire les crêpes. Elle en avait été un peu surprise, mais plutôt dans le bon sens. Mais quand elle y pensait maintenant, elle voyait les choses autrement. S’il prenait idée aux fillettes de se mettre à faire de la cuisine sans surveillance, on pouvait tout redouter. Peut-être valait-il mieux, en effet, intervenir avant qu’il ne se produise un drame. Madame Perrot voyait bien qui était la maman de la petite amie de Josie, elle était parfois à la sortie de l’école, où elle récupérait plusieurs enfants, qui ne devaient pas tous être à elle. Elle habitait de l’autre côté de l’école, semblait-il, puisqu’elle la voyait repartir dans l’autre sens. Madame Ballut déplorait de ne l’avoir jamais vue et de ne pas avoir l’occasion de lui parler: la petite venait toujours seule; parfois Josie sortait, partait en direction de l’école et resurgissait un quart d’heure après avec elle. En y réfléchissant, c’était un peu léger de la part de cette maman de laisser sa fille partir seule à cet âge et aller dans une maison dont elle semblait ne rien savoir. Pétrie de l’assurance que lui donnait le sentiment de se voir confier une mission et pleine de bonnes intentions, madame Perrot promit de lui parler et elles se quittèrent sur ces bonnes paroles, mutuellement confortées dans leur certitude de faire partie des rares individus qui, en ce bas monde, savent voir au-delà de leur petite personne.<br />
Les jours suivants, madame Perrot vint à la sortie de l’école avec un peu d’avance: elle avait observé que la maman à qui elle voulait parler était toujours là avant et elle espérait arriver suffisamment tôt pour qu’elles aient le temps de parler un peu. Elle se plaça en face des portes, à l’endroit dont elle savait qu’il lui était habituel, de sorte qu’elles furent forcées de constater que leurs filles se connaissaient, et durent se sourire. Dès le deuxième jour, elles se saluèrent; elle l’aborda en évoquant l’amitié des enfants et elles échangèrent les prénoms de leurs filles. La petite amie de Josie s’appelait Maria. Au début de la semaine suivante, madame Perrot avait avancé ses pions et elles abordaient le sujet de Josie. La maman de Maria eut l’air plutôt surpris des remarques de mise en garde de madame Perrot et répondit que sa fille ne lui avait jamais signalé qu’il y ait le moindre problème chez Josie. Oui, Maria y allait seule et presque tous les jeudis après-midi, les deux petites filles se donnaient rendez-vous à l’école, n’ayant ainsi à faire que le trajet qui leur était familier. De l’école, où elles s’attendaient, elles repartaient chez Josie et sans traîner dans les rues: Maria savait qu’il ne fallait pas. Madame Perrot les aurait elles vues faire un trajet différent ? Non, eh bien, tout allait bien, elles étaient très raisonnables, où était le problème? Quant à la suggestion que les filles pourraient passer l’après-midi chez elle, elle eut l’air de la trouver incongrue et dit que c’était mieux chez Josie, puisqu’elle avait un jardin et que chez elle, avec les enfants qu’elle gardait, l’appartement était déjà bien rempli. Bref, madame Perrot n’eut pas le sentiment d’être comprise.<br />
Simultanément, elle avait lancé une autre offensive et suggéré à sa fille d’inviter Josie pour le jeudi suivant, ce qui fut fait. Josie vint en début d’après-midi, un peu ennuyée de ne pas avoir réussi à faire inviter Maria et de devoir dire à celle-ci qu’elles ne se verraient donc pas cette semaine. La mère de Maria, constatant que sa fille restait à la maison ce jour-là mit bout à bout cette observation et ses conversations avec madame Perrot, dont elle n’avait pas vraiment compris le sens et qui lui laissaient un sentiment de malaise; elle en conclut qu’il y avait sans doute un problème quelque part, bien que ne voyant pas très bien de quoi il pouvait s’agir. Sa fille s’était-elle mal conduite? Comme elle n’avait pas la réponse à cette question et n’aimait pas les complications, elle dit à sa fille qu’elle devrait à présent rester à la maison le jeudi pour l’aider à s’occuper des petits qu’elle gardait et qu’après tout, il était temps qu’elle commence à se rendre utile. C’est donc le lendemain, vendredi, que Josie apprit la nouvelle, alors qu’elle allait sauter au cou de Maria en lui disant à quel point elle lui avait manqué. Maria lui annonça sans aménité qu’elles ne pourraient plus se voir, ajoutant que ce n’était sans doute pas un problème pour Josie, puisqu’elle avait une nouvelle amie du jeudi à présent. L’injustice de l’accusation accabla Josie qui sortit de l’école au plus vite ce soir là, préférant rentrer seule et éviter madame Perrot, dont elle n’avait, la veille, pas plus apprécié le gâteau que les propositions de jeu de société divers et variés, certainement passionnants mais qui lui faisaient peur car elle n’en connaissait aucun. Elle n’avait tenu le coup qu’en rêvant aux crêpes qu’elle et Maria feraient le jeudi suivant dans la cuisine avec sa grand’mère qui leur donnait les indications pas à pas en vérifiant qu’elles n’avaient pas oublié depuis la dernière fois. Allait-elle devoir faire des crêpes seule à présent? Ce serait bien triste. Elle rentra à toute vitesse à la maison et grimpa dans sa chambre après un rapide bonjour à sa mamie, qui s’étonna de la voir passer comme une flèche, sans même prendre le temps de goûter. De sa fenêtre, quelques instants après, Josie vit madame Perrot échanger quelques mots avec madame Ballut et sans savoir pourquoi, elle détesta cela.<br />
Le lendemain, Annie Perrot lui dit que sa mère allait l’inscrire au patronage pour les jeudis suivants et que ce serait une bonne idée si elle venait aussi. En fait, l’expérience du goûter à la maison avait conduit madame Perrot à s’interroger sur les jeudis de sa fille mais également à penser qu’elle ne se voyait pas inviter Josie toutes les semaines. Et d’ailleurs, pourquoi inviterait-elle exclusivement Josie? Inutile d’enfermer sa fille dans une relation de ce type. Mais en y réfléchissant, elle en venait à se dire que, peut-être, sa fille devrait jouer plus souvent avec d’autres enfants. Elle avait eu vent de réunions de patronage à la paroisse et dès qu’elle eut cette idée, elle la trouva excellente: elle allait y inscrire sa fille et convaincre Josie d’y aller également; c’était gratuit, tous les enfants étaient acceptés; ils étaient surveillés par une Sœur qui leur organisait des activités diverses avec l’aide de quelques mamans, dont elle-même pourrait être à l’occasion. L’idée lui parut convenir parfaitement à la situation et, ravie de ce qu’elle considéra être la solution idéale au problème posé par Josie, elle chargea sa fille de convaincre cette dernière. Annie s’exécuta. Elle avança les arguments que lui avait exposés sa mère. Bien évidemment, elle ne lui répéta pas les commentaires qu’elle avait entendus la veille, lors de la conversation entre sa mère et la voisine de Josie. Elle s’était d’ailleurs efforcée de les écouter le moins possible, mal à l’aise de penser que la conversation en question avait lieu sous les fenêtres de l’intéressée. D’un autre côté, elle comprenait que sa mère ait pu trouver bizarre que le lendemain du jeudi passé ensemble, Josie ait semblé l’éviter et il était vrai qu’elle aussi, elle trouvait parfois Josie un peu surprenante, même si elle l’aimait bien. A vrai dire, le comportement de Josie à cet instant même donnait raison à toutes les personnes qui pouvaient la trouver un peu étrange, pensa-t-elle, car elle semblait furieuse qu’on lui suggère d’aller au patronage alors qu’elle ne savait même pas ce que c’était et qu’Annie avait seulement expliqué ce qu’il fallait faire pour s’inscrire.<br />
Furieuse, elle l’était, Josie, et totalement désemparée. Pourquoi avait-elle accepté d’aller chez Annie le jeudi précédent? Depuis, tout allait mal. Dire qu’elle n’avait même pas eu envie d’y aller et qu’elle s’était forcée, ne voyant pas comment refuser. Dès l’instant même de l’invitation, elle avait su que l’après midi n’allait pas lui plaire et qu’il faudrait faire des choses dont elle n’avait pas l’habitude, en plus du fait qu’il avait fallu dire à Maria de ne pas venir et qu’elle avait dû laisser sa grand’mère seule un jeudi alors que d’habitude elle pouvait rester avec elle ce jour-là. Mais comment aurait-elle pu savoir que les catastrophes allaient ensuite se succéder à ce rythme? Maria qui ne pouvait plus venir à la maison, Annie qui lui disait de s’inscrire au patronage, qu’allait-on lui annoncer le lendemain?<br />
Elle ignorait tout du patronage et n’avait rien compris au début d’explication d’Annie, si ce n’est qu’il fallait s’inscrire. Elle n’avait entendu que ce mot, qu’elle connaissait bien. Il voulait dire qu’on allait lui demander des choses sur ses parents, peut-être même lui dirait-on qu’il fallait qu’ils prennent rendez vous, et ça, ce n’était pas possible. Cela faisait un certain temps que Josie avait compris que les activités où l’on devait s’inscrire n’étaient pas pour elle. Si elle y allait, il lui manquerait certainement un papier et elle détestait tous ces gens qui posaient des questions auxquelles il fallait des réponses de grande personne. Et pourquoi irait-elle s’inscrire quelque part le jeudi alors qu’il était si simple d’inviter Maria, avec qui elle passait tant de bons moments? Mamie aussi passait de bons moments avec elles, pourquoi l’en aurait-elle privée? Les dames qui s’occupaient du patronage avaient certainement assez d’enfants pour les distraire, Mamie n’avait qu’elle, éventuellement Maria quand elle venait, Josie trouvait vraiment injuste de la laisser seule alors qu’elle pouvait faire autrement.<br />
Qu’avait-elle bien pu faire de mal pour que tout se mette à aller de travers? Avait-elle gaffé chez madame Perrot? Maria lui avait dit que sa mère n’avait pas voulu répondre quand elle avait demandé pourquoi elle ne devait plus venir et, chose curieuse, elle avait l’air de lui en vouloir quand elle avait dit cela. Qu’avait-elle bien pu faire, quelle était sa faute?<br />
Elle y pensait encore le soir, une fois rentrée à la maison. Elle avait scruté le visage de sa grand’mère, qui lui sembla n’avoir rien d’inhabituel : apparemment, Mamie n’était pour rien dans la succession de catastrophes à laquelle elle était confrontée. A l’heure habituelle, elle descendit mettre la soupe sur le feu sous la direction de sa grand’mère, qui n’y voyait plus assez clair pour distinguer la flamme et utilisait les yeux de sa petite-fille quand elle faisait de la cuisine. Elle mit la table par la même occasion, comme à l’accoutumée, puis remonta dans sa chambre en attendant l’heure du souper et s’installa à sa fenêtre, comme elle le faisait parfois, pour regarder le ciel et les maisons du quartier, que pour la plupart elle surplombait car la leur était assez haute. De là, elle vit madame Ballut qui commençait à fermer ses volets. Elle se dit qu’elle la détestait, sans trop savoir pourquoi. Elle se demanda si elle devrait détester aussi Maria et Annie mais pensa que cela ne lui ferait aucun bien. Est-ce que Maria allait rester sa meilleure amie si elles ne se voyaient plus le jeudi? Pas sûr. Mais à leur âge, pouvait-on vraiment avoir une « meilleure amie », autrement dit une amie sur qui on peut compter? Plus elle y pensait, plus elle se disait qu’en réalité ce n’était pas possible: il suffisait qu’un adulte donne un ordre et on ne pouvait plus compter sur quelque amie que ce soit. Elle décida donc de renoncer à avoir une meilleure amie, voire à l’amitié, en se disant qu’elle attendrait l’âge adulte pour se lier à nouveau. Dans l’immédiat, elle n’aurait plus que des copines, pas des amies: elle ignorait alors qu’à cet instant même, elle venait de prononcer le jugement qui la condamnait à rester toute sa vie la petite fille blessée aux jeudis solitaires.<br />
Tirant les derniers volets, madame Ballut jeta un œil à la maison d’en face. Josie était toujours à sa fenêtre, à rêvasser. Il lui sembla qu’elle regardait dans sa direction, mais elle n’eut pas un sourire, pas un signe de tête. Elle se dit que cette petite était vraiment bizarre et qu’elle avait bien fait de mettre madame Perrot en garde. On n’est jamais trop prudent. Elle en dit deux mots à son mari, qui lisait le journal en attendant la soupe. Il hocha la tête et lui dit qu’elle se faisait trop de mauvais sang et que ce n’était pas leur affaire. Mais on ne se refait pas, répondit-elle, elle s’inquiétait, elle était comme ça et il le savait bien. Il ne le savait que trop, pensa-t-il, tandis qu’elle approchait la louche de son assiette en lui disant qu’attention, la soupe était un peu chaude. Il ne le savait que trop. </div>
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